Le Rapporteur général de la commission des Finances Joël Giraud, a présenté ce mercredi 17 juillet son Rapport d’Application de la Loi Fiscale 2019 (RALF). Celui-ci sera néanmoins publié la semaine prochaine, en raison du délai de traitement de données communiquées très tardivement par Bercy à l’Assemblée nationale, malgré des questionnaires transmis au mois de mars. Certains éléments sont par ailleurs parvenus postérieurement à la présentation.
Lors de celle-ci le Rapporteur général a indiqué que le RALF est un temps de réflexion et d’évaluation visant à préparer le prochain Projet de Loi de Finances (PLF), qui s’apparente sur le plan fiscal au « printemps de l’évaluation » pour les crédits budgétaires, avec un souci identique de contrôle et d’évaluation de l’exécutif.
Cette année, les mesures d’application du PLF 2019 ont été prises plus rapidement : 35 % ont déjà été publiés au cours du premier semestre 2019 contre 9 % l’année dernière, ce qui est un motif de satisfaction.
Concernant les dépenses fiscales – le cœur du rapport, Joël Giraud a rappelé que la notion de dépense fiscale est floue puisqu’elle est un dispositif dérogatoire à la norme de référence, mais que la définition de cette norme revêt elle-même souvent, un caractère « arbitraire ».
Ainsi, il a proposé des pistes de reclassement de certaines niches qu’il qualifié de « quasi-niches », ces mesures n’étant pas des dépenses fiscales mais qui paraissent devoir l’être à l’instar de la « niche Copé », de certains taux réduits de TVA ou encore le taux réduit d’IR sur certains revenus tires d’actifs incorporels. A l’inverse, pour le Rapporteur général, certaines niches ne devraient pas être classées comme dépenses fiscales, soit parce qu’elles sont anciennes et ont intégré la norme, soit parce qu’elles s’inscrivent dans la logique de l’impôt auquel elles se rattachent.
En 2019, le coût estimé des 472 dépenses fiscales est de 99,3 milliards d’euros. Une forte concentration des dépenses est notable, en termes de montant, sur quatre blocs : l’impôt sur le revenu (34 %) ; la fiscalité des bénéfices (33,3 %) ; la TVA (plus de 20 %) ; la fiscalité énergétique (plus de 8 %).
Il est ensuite notable que plus d’un quart des dépenses fiscales ont un coût inférieur ou égal à 1 million d’euros : en effet, 9 niches représentent à elles seules près de la moitié du coût total et plus précisément, près des deux tiers du montant des dépenses fiscales bénéficient aux entreprises. Hors CICE, cette part descend à environ 50 %.
Selon les données transmises au Rapporteur général, 16 % du total des dépenses recensées sont aujourd’hui éteintes, dont 27 sont des « niches mortes » dépourvues d’impact budgétaire et 48 des « niches froides », qui continuent à avoir un impact budgétaire même si leur fait générateur est éteint, à l’instar du CICE.
In fine sur les 472 dépenses recensées, la commission des Finances indique que moins de 400 d’entre elles peuvent être effectivement modifiées ou supprimées, et que la masse budgétaire pilotable sur lequel le législateur a une prise effective correspond à moins de 80 % du montant total indiqué dans les documents budgétaires.
Le fantasme bien ancré, consistant à percevoir les niches comme une manne de 100 milliards d’euros dans laquelle les pouvoirs publics pourraient puiser pour résorber le déficit ou financer des politiques publiques, est ainsi pour le moins trompeur.
En conclusion sur les niches, Joël Giraud formule des recommandations fortes et en premier lieu la refonte générale du tome II des Évaluations des voies et moyens, qui les recense. Il demande également l’évaluation de l’ensemble des dispositifs dérogatoires au sens large, et non uniquement de ceux répondant à la définition de la dépense fiscale, l’amélioration de la présentation formelle du document en distinguant les dépenses actives et celles éteintes, et en introduisant une classification des dépenses par objectif, la suppression des dépenses fiscales non évaluées – en commençant par les « trous noirs fiscaux » – ou, à défaut, systématisation du bornage temporel de ces dépenses et évaluation dans l’intervalle, l’obligation d’assortir chaque création ou extension de dépense fiscale d’un chiffrage et d’une clause de revoyure aux fins d’évaluation, la mise en place d’un programme pluriannuel prioritaire d’évaluation des dépenses fiscales et enfin, la consécration d’un nouveau dispositif de pilotage des dépenses fiscales dans la loi de programmation des finances publiques.
Enfin, le Rapporteur général développe dans le RALF des études thématiques, en vue de l’élaboration d’amendements dans le prochain PLF.
Sur le Crédit d’Impôt pour la Transition Énergétique CITE, qui a été prorogé et aménagé à l’initiative du Gouvernement en dernière Loi de Finances avant d’être remplacé par un système de prime immédiatement perceptible, en y réintégrant les fenêtres bien que l’efficacité énergétique de ces équipements ne soit pas avérée. Une occasion pour Joël Giraud de regretter la sous-estimation du coût global du CITE, réitérée deux années consécutives, dans le cadre de la préparation des PLF 2017 et 2018. Il a enfin rappelé le caractère injuste du dispositif, en regard de sa répartition territoriale et des niveaux de revenus de ses bénéficiaires (ceux appartenant 80 % des ménages les plus aisés représentent près de 45 % des bénéficiaires totaux et 50 % du montant total du CITE).
Sur le dispositif « Pinel », le Rapporteur général a indiqué qu’il bénéficie très majoritairement aux 10 % des ménages les plus aisés (ils représentent 71 % du total des bénéficiaires et concentrent à eux seuls 82% du « Pinel »). De même que pour le CITE, la distribution territoriale du « Pinel » reflète globalement la répartition des richesses. Enfin, le « Pinel » est conditionné au respect de certains engagements ou contreparties qui ne font, dans les faits, l’objet d’aucun contrôle, ou d’un contrôle « largement illusoire » comme l’a dénoncé la Cour des Comptes.
Sur le Crédit Impôt Recherche CIR, qui est la principale dépense fiscale active (coût estimé en 2019 à 6,2 milliards d’euros) captée en majorité par les entreprises de plus de 250 salariés (67 % en 2017). Ceci dit, 44 % du montant des créances du CIR millésime 2017 a profité à des entreprises déficitaires. Pour Joël Giraud, cela illustre la puissance de l’outil et le fait qu’une réduction d’impôt serait beaucoup moins efficace. Si l’outil est utile, Joël Giraud n’en demeure pas moins convaincu qu’il ne « faut pas s’interdire de le faire évoluer pour le rendre plus efficient et rationnel », évolutions qui seront également proposées pour le mécénat des entreprises, pour lequel le Rapporteur général n’a malheureusement pas obtenu les données demandées.
Sur le gel de la trajectoire carbone, le Rapporteur général estime son coût à 5,4 milliards d’euros en 2019 (la trajectoire augmentant par la suite) en incluant l’ensemble des taxes, soit plus de 2 fois le budget de l’agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) et plus de 3 millions de primes à la conversion – 10% du parc automobile français renouvelé en une seule fois !
Sur le nécessaire verdissement des dépenses fiscales, et notamment le gazole non routier qui a un coût supérieur à 2 milliards d’euros par an pour soutenir l’industrie extractive et le secteur du bâtiment. Pour Joël Giraud, ce coût se justifie difficilement : ces secteurs sont fortement émetteurs de gaz à effet de serre, mais sont tributaires d’un niveau de taxe carbone près de 75% inférieur à un automobiliste roulant au diesel. Ensuite, l’exonération de taxation du kérosène, qui n’est pas considérée comme une niche – et donc non soumis au plafond des dépenses fiscales – et qui coûte 3,5 milliards d’euros par an, semble éminemment contestable pour le Rapporteur général qui constate que le traité international souvent évoqué pour ne pas mettre en cause le système autorise des marges de manœuvre nationale dont certains pays européens se sont emparés. Une occasion pour Joël Giraud de se féliciter de la mise en place d’une éco-contribution compatible avec les engagements de la France.
Au sujet des finances locales, et particulièrement de la majoration de la taxe d’habitation des résidences secondaires dans les zones tendues, Joël Giraud a précisé que seulement 20 communes sur 218 ont instauré la majoration maximale de 60 % en 2018 et qu’aucune n’a fixé une majoration inférieure à 20 %. Les enjeux financiers concernent en premier lieu la Ville de Paris, pour laquelle le rendement est de 62 millions d’euros, soit 52 % du rendement total de la majoration qui est de 118 millions d’euros en 2018 pour l’ensemble du pays. Joël Giraud souhaite trouver les moyens d’une meilleure progressivité de cette majoration qui touche les maisons familiales de nombreux contribuables, et d’en assurer la modération.
Concernant la réforme de la taxe de séjour, le Rapporteur fait le point dans son rapport et notamment sur la collecte par les plateformes de réservation ou de location en ligne, obligatoire depuis le 1er janvier. Il a indiqué que pour certaines communes touristiques, le versement unique de la taxe de séjour au 31 décembre pourrait être amélioré par un versement semestriel, sous réserve de faisabilité technique. Il a indiqué de plus qu’une seule plateforme a réussi à collecter la taxe selon les modalités en vigueur dans les toutes premières semaines de 2019. Pour les autres, l’application s’est faite de manière plus progressive et est devenue pleinement effective depuis le 1er juillet 2019. Toutefois, certaines plateformes ne prennent toujours pas en compte le classement de l’hébergement ou les exonérations pour les personnes mineures. Enfin, il a rappelé que la poursuite de la fiabilisation de la base de données OCSITAN est un enjeu vital pour l’administration dans la mesure où les plateformes soulignent la persistance de nombreuses erreurs.
Joël Giraud développe enfin une partie de son rapport sur les impositions et taxes affectées, une pratique qu’il qualifie de « préjudiciable » aux droits du Parlement et qu’il appelle à en poursuivre l’encadrement par les plafonds, puisqu’ils dérogent à deux principes budgétaires cardinaux : l’unité et l’universalité, des principes « protecteurs » du Parlement. Il estime ainsi que le principe d’universalité doit être la règle et que l’affectation de recettes doit demeurer l’exception si tant est qu’elle se justifie.
Le RALF de Joël Giraud sera un outil précieux aux parlementaires dans les débats qui s’ouvriront à la rentrée sur le PLF 2020, et particulièrement dans le cadre du financement des mesures de pouvoir d’achat. La qualité des investigations et des travaux afférents à ce rapport a été saluée – et même applaudie – par les commissaires aux Finances présents ce mercredi matin.
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