Le Figaro, no. 23191 Le Figaro Économie, jeudi 7 mars 2019, p. 24
Le prélèvement portera sur une estimation déjà critiquée de la part du chiffre d’affaires réalisé en France.Guichard, Guillaume
FISCALITÉ Le gouvernement a décidé d’appuyer sur l’accélérateur en présentant le projet de loi sur la taxe Gafa au Conseil des ministres (nos éditions du 6 mars) . Le texte sera examiné en avril au Parlement et devrait être voté avant la fin de l’année, le nouveau prélèvement devant s’appliquer sur l’activité 2019 des géants du numérique.
L’objectif affiché de la taxe ? « Produire de nouvelles recettes » , reconnaît d’emblée Bercy dans l’étude d’impact annexée au projet de loi. Mais aussi « répondre à un impératif d’équité fiscale dans un contexte où le secteur numérique représente une part croissante de la création de valeur au niveau national » . Un avis partagé par le futur rapporteur du texte à l’Assemblée, Joël Giraud, pour qui « ces multinationales supportent un taux moyen d’imposition des bénéfices bien plus faible que les entreprises traditionnelles » . Les petits commerces concurrencés par les géants de la vente en ligne, qui s’acquittent notamment d’une fiscalité locale en hausse tendancielle, apprécieront ce nouveau prélèvement sur leurs concurrents.
Effet résiduel sur les prix
Les intéressés, évidemment, voient rouge. « Nous nous inquiétons du fait que la taxe numérique française revienne à fragiliser les start-up françaises et à augmenter les prix pour les consommateurs » , prévient Christian Borggreen, le vice-président de la Computer & Communications Industry Association, qui représente le secteur à Bruxelles. Bercy réfute pour sa part tout risque de hausse des prix des services en ligne pour les internautes français, « sauf dans le cas résiduel des abonnements facturés au consommateur » .
Toutefois, les jeunes pousses françaises ne seront pas concernées par la taxe. Pas avant, en tous les cas, de devenir – et encore – des licornes, qui dépassent le milliard d’euros de valorisation. La taxe ne s’appliquera en effet qu’aux entreprises réalisant un chiffre d’affaires de 750 millions dans le monde et 25 millions en France. Au total, « une trentaine de groupes d’entreprises » seront assujettis à la taxe. Parmi elles figureront « de nombreuses entreprises françaises, européennes et non européennes » , précise Bercy, qui cherche à éviter d’être accusé de nationalisme fiscal. Plus précisément, un seul groupe hexagonal serait concerné : le géant de la publicité ciblée, Criteo. Rakuten (ex-PriceMinister, racheté par un Japonais) serait aussi touché. En revanche, Blablacar, CDiscount et LeBonCoin échapperaient de justesse à cette nouvelle charge.
Avec la nouvelle taxe sur le numérique, les Gafa redoutent surtout d’entrer dans un monde à la Kafka. En effet, celle-ci s’appliquera au chiffre d’affaires réalisé en France sur un certain nombre d’activités (activités de ciblage publicitaire, revente de données personnelles à des fins publicitaires et commissions que touchent les plateformes). Toute la difficulté réside dans le calcul de cette part hexagonale de leur chiffre d’affaires. « Elle sera calculée à partir des revenus mondiaux auquel sera appliqué un coefficient de présence numérique en France , explique Bercy. Ce coefficient sera déterminé au prorata des utilisateurs français actifs sur le service, selon les caractéristiques propres à chacune des catégories de services. » De plus, les entreprises devront conserver durant trois ans (délai de prescription en matière fiscale) ces données afin de pouvoir les fournir au fisc, car, a prévenu Bruno Le Maire, « il y aura des contrôles » .
Le ministre table sur 400 millions d’euros de recettes fiscales cette année, puis 550 millions en 2021 et 650 millions en 2022. « Compte tenu de la structure oligopolistique des marchés des services taxés, l’essentiel du rendement prévisible est concentré sur un petit nombre de groupes qui captent globalement l’essentiel de la valeur créée » , estime le ministère des Finances dans l’étude d’impact du projet de loi.
Enfin, si Bruno Le Maire répète à l’envi que la taxe Gafa s’éteindra lorsqu’une solution internationale pour taxer les géants du numérique existera, rien n’est précisé à ce sujet dans le projet de loi. Le Syntec, qui représente les entreprises du secteur, appelle donc d’ores et déjà à ajouter au texte une « clause d’extinction » .