Mardi 10 avril, la commission des Finances a auditionné M. Gérard Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.
M. le président Éric Woerth. Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude a été adopté en Conseil des ministres le 28 mars dernier et le Sénat devrait l’examiner en première lecture avant l’été, si bien que l’Assemblée ne devrait pas en débattre avant la rentrée.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Le Sénat a particulièrement travaillé, au cours de la précédente législature, sur la fraude, en particulier la fraude fiscale, avec le concours, d’ailleurs, de tous les groupes. Le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude sera examiné par l’Assemblée vraisemblablement à l’automne.
La fraude est un coup de poignard dans le pacte républicain. Il fallait un pendant au projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, dit « du droit à l’erreur », que vous êtes sur le point d’adopter ; or ce pendant, c’est le très important travail de l’administration douanière, de l’administration fiscale contre la fraude fiscale. Nous n’en connaissons pas le montant exact mais sur les plus de 20 milliards d’euros de rectifications, les services de l’État ne recouvrent que 12 milliards.
Sans doute manquons-nous de moyens juridiques mais aussi de moyens techniques pour appréhender les grands fraudeurs. C’est pourquoi ce texte vise à renforcer les moyens de détection de la fraude dont il prévoit une punition morale et pécuniaire plus importante que celle en vigueur. Vous aurez remarqué que le projet est assez court puisqu’il ne comprend qu’une dizaine d’articles. Il fait l’impasse sur un sujet sur lequel l’Assemblée nationale a décidé de réfléchir par ailleurs : le « verrou de Bercy ». J’ai eu l’occasion de préciser déjà que nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de la discussion.
L’article 1er crée une police fiscale. Pour lancer des enquêtes, le juge et le procureur de la République ont le choix entre deux services dont l’un, le principal, est la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui dépend du ministère de l’intérieur et se compose de policiers et d’agents relevant de mon ministère. La BNRDF ne travaille pas exclusivement sur la fraude fiscale mais aussi sur des actes délictueux connexes qui n’entrent pas dans la catégorie de la fraude. La brigade est très sollicitée avec plus de 600 dossiers en attente, 50 étant résolus chaque année. Il faudra donc plusieurs années ne serait-ce que pour traiter l’ensemble des dossiers en souffrance.
Nous avons choisi de ne pas supprimer la BNRDF mais de la compléter.
Existe déjà, depuis quinze ans, le service national des enquêtes douanières, qui peut également être sollicité par le procureur de la République ou par un magistrat. Il est dirigé, à Bercy, par une magistrate. Son activité concerne essentiellement les trafics : contrebande, stupéfiants ou contrefaçons.
Nous proposons de créer, à Bercy, un troisième service, spécifique à la fraude fiscale, pour sa part, placé sous l’autorité d’un magistrat. Il s’agit de la police fiscale prévue, je l’ai dit, à l’article 1er et qui compterait une cinquantaine d’équivalents temps plein. Si vous votez cette disposition, je prendrai rapidement un arrêté de création qui permettra à ce service, au tout début de l’année 2020, de fonctionner puisqu’il faut une dizaine de mois à ces agents, qui seront officiers de police judiciaire et qui auront les mêmes techniques d’enquête que la BNRDF – écoutes téléphoniques, perquisitions, filatures… –, pour travailler sur de grands fraudeurs qui utilisent des moyens différents de ceux employés actuellement par l’État pour les poursuivre. Il n’existe pas de service dont l’expertise est seule consacrée à la fraude fiscale. On peut donc imaginer qu’un magistrat qui cherchera à confier une enquête à un service de police aura le choix entre la BNRDF s’il s’agit de cas de fraude fiscale relevant du ministère de l’intérieur, ou le service national des enquêtes douanières pour la lutte contre les trafics, enfin la police fiscale pour les dossiers de fraude fiscale proprement dite.
L’article 2 a pour objet de renforcer les capacités de contrôle informatique en matière douanière. Le rôle des douanes dans la lutte contre la fraude est très important. Il y a une inégalité de traitement entre les dispositifs permis, si j’ose dire, par direction générale des finances publiques (DGFiP) et ceux permis par les services des douanes – l’excellent Laurent Saint-Martin l’avait déjà souligné dans son rapport spécial. Il s’agit donc de rétablir l’égalité.
L’article 3 vise à faciliter l’échange de données entre administrations à des fins de lutte contre la fraude. C’est peut-être le prélude du renseignement fiscal que je souhaite mettre en place au sein de mon ministère qui dispose d’ores et déjà de trois types de services de renseignement : TRACFIN (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), qui n’est pas un service d’enquête mais d’analyse des données, la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et la DGFiP. Le principe de ce renseignement fiscal sera peut-être à préciser au cours du débat parlementaire. En attendant, les quatre mesures prévues à l’article 3 permettront l’échange d’informations évoqué.
L’article 4 précise les obligations déclaratives fiscales des plateformes d’économie collaborative. Après avoir simplifié, à la demande du rapporteur général, leur travail vis-à-vis des collectivités locales, ces plateformes seront obligées, une fois la loi promulguée, de publier les revenus de ceux qui bénéficient de leurs prestations et ils sont nombreux dans l’économie d’aujourd’hui. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
L’article 5 prévoit une peine complémentaire obligatoire de publication pour fraude fiscale, ce qu’on appelle le « name and shame » (« nommer et couvrir de honte »). Les dispositions votées par le législateur sur la publication des condamnations pour fraude fiscale ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Après l’avis du Conseil d’État, nous avons travaillé avec le secrétariat général du Gouvernement et la direction des affaires juridiques de Bercy afin d’instaurer ce name and shame, non seulement en matière pénale mais encore en matière administrative – les sanctions administratives sont parfois très importantes, jusqu’à 100 % de pénalités. Dans un contexte où les entreprises souhaitent avoir une réputation positive, nous sentons bien tous que le fait de payer ou non son juste impôt est une information que les citoyens souhaitent avoir ne serait-ce qu’en tant que consommateurs. La publication des condamnations en question contribue à cette transparence et répond, donc, à cette exigence que le législateur avait déjà fait valoir.
L’article 6 concerne la publication des sanctions administratives.
L’article 7 prévoit de sanctionner les tiers complices – à savoir ceux qui proposent les montages – pour fraude fiscale et sociale. On s’évade rarement tout seul ; on y est parfois aidé, notamment par des sociétés dont le travail ne consiste pas seulement à « optimiser » l’impôt – pratique légale – mais parfois à organiser une fraude qu’il s’agit de condamner. Le dispositif proposé permettra aux services fiscaux, qui parfois le constatent lors de leurs perquisitions, et aux services d’enquête de pouvoir condamner les ingénieurs de la fraude et pas seulement ceux qui en bénéficient.
L’article 8 aggrave les peines d’amende encourues en cas de fraude fiscale afin qu’elles soient particulièrement dissuasives. Le montant de l’amende pourra ainsi être le double du produit de la fraude – le maximum, semble-t-il, que peut prononcer le juge administratif.
L’article 9 étend la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité – le « plaider-coupable » –, déjà en vigueur pour le blanchiment de fraude fiscale depuis 2004 et la « loi Perben ». Il s’agit ici de récupérer l’argent plus rapidement mais aussi d’aller plus vite dans la condamnation de ceux qui seront reconnus coupables de fraude fiscale.
Enfin, les articles 10 et 11 sont d’importance inégale et devraient permettre à l’État de mieux fonctionner, en particulier à l’intérieur de ses frontières, par le biais du renforcement des sanctions prévues à l’article 10 contre ceux qui refusent de coopérer avec les services douaniers, lesquels font un travail très important alors qu’ils sont parfois vilipendés par la population qui refuse de leur donner des informations. L’article 11, quant à lui, vise à élargir la liste des États et territoires non coopératifs (ETNC), à savoir la liste des pays avec lesquels la France ne souhaite pas travailler, notamment après la négociation de décembre 2017 ; en effet l’Union européenne a publié sa propre liste comptant neuf États supplémentaires. J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer publiquement sur la question, en particulier pour faire valoir certaines exigences, y compris vis-à-vis de l’Union européenne, concernant des pays non pas qui seraient des paradis fiscaux mais qui s’apparenteraient, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à des trous noirs. Le commissaire européen Pierre Moscovici l’a dit explicitement en citant ces pays. Nous aurons là aussi l’occasion d’y revenir au cours du débat.
Je tiens à souligner l’importance de ce texte qui se concentre sur la fraude fiscale et les grands fraudeurs – je me refuserai donc sans doute à m’exprimer sur les amendements concernant la fraude sociale qui fera l’objet d’un autre texte du Gouvernement que je présenterai sans doute avec la ministre des solidarités et de la santé.
J’ajoute que le présent projet de loi n’a pas vocation à fixer les règles fiscales – c’est pourquoi je refuserai également les amendements éventuels portant sur le fait de savoir s’il faut rétablir tel ou tel impôt ou s’il faut augmenter ou baisser le taux de tel autre.
Enfin, de nombreuses mesures réglementaires seront prises pendant que le Parlement examinera le texte, comme la publication des rescrits, à laquelle je m’étais engagé. Je me tiens à la disposition de la commission pour amender le présent projet de loi.
M. le président Éric Woerth. Sans vouloir procéder à une recherche en paternité, il est vrai que nous avions donné des pouvoirs de police judiciaire aux douanes en matière fiscale et la douane judiciaire a pu, depuis, montrer son utilité. Les agents dépendaient, en tant que tels, de Bercy, mais étaient plutôt rattachés au ministère de l’intérieur pour des raisons de « boutique » notamment – il s’agissait d’empêcher la création d’un vrai service. Mais c’était une première étape et cette seconde étape, que vous nous proposez de franchir, me paraît une bonne chose. J’ignore toutefois à quel parquet sera rattachée cette police judiciaire…
Ensuite, il convient d’articuler le dispositif proposé avec le « verrou de Bercy ». La mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales nous donnera des informations en la matière mais je suppose que vous avez vous-même une idée sur la question, monsieur le ministre.
Je me félicite de ce que le texte précise les obligations déclaratives fiscales des plateformes d’économie collaborative – nous l’avions en effet évoqué lors de la discussion du dernier projet de loi de finances. Il faut constater le chiffre d’affaires réalisé par client et le lien doit bel et bien être fait avec le fisc. Ces plateformes doivent pouvoir recueillir assez facilement ce type de données – sinon c’est qu’elles ont raté leur vocation.
Chacun pensera ce qu’il voudra de l’introduction du name and shame. L’article 6 prévoit la création d’une commission de publication des sanctions fiscales chargée de donner un avis à l’administration lorsque celle-ci envisage de rendre publiques des sanctions administratives, autrement dit de filtrer les informations avant publication de fraudes importantes concernant les seules personnes morales. Pourquoi n’entendez-vous pas procéder de la même manière avec les personnes physiques ?
M. le ministre. Je vous remercie pour votre encouragement, monsieur le président. J’ai eu l’occasion de souligner, au Sénat, que je m’inscrivais dans la continuité de ce qui a déjà été fait, que le président Sarkozy avait beaucoup travaillé, en particulier au lendemain de la crise financière, en faveur de la fin du secret bancaire, et que le président Hollande avait lui-même mis en place l’automatisation des échanges de données avec l’OCDE. Contrairement à ce qu’on peut dire ou à ce que je peux lire, la France est à la pointe dans la lutte contre la fraude, même si l’on peut toujours faire mieux, comme du reste l’ambitionne ce texte.
Tous les parquets de France pourront utiliser la police fiscale, qui ne sera donc pas exclusivement rattachée au parquet national financier. Il n’y aura pas de risque de concurrence entre ces services car ils ne seront saisis que sur la demande d’un magistrat – ils ne s’autosaisissent pas. Il ne pourra y avoir d’enquêtes parallèles ou de contre-enquêtes entre les trois polices fiscales que nous créons.
Enfin, nous avons choisi de ne pas publier le nom des personnes physiques. Nous reviendrons, j’imagine, sur la publication des sanctions administratives et judiciaires : il ne s’agit pas des mêmes régimes. Ici, c’est le juge qui décidera de la publication, ou non ; là, s’agissant des sanctions administratives, il est normal de créer un filtre afin que la décision prise ne soit pas celle d’un seul.
M. Joël Giraud, rapporteur général. Je salue ce texte bienvenu. Il est synthétique et bien construit du point de vue du triptyque détection-appréhension-sanction.
De nombreuses dispositions visent au renforcement de la lutte contre la fraude et au renforcement des sanctions applicables. Au-delà des sanctions administratives proposées, le texte prévoit d’ouvrir de façon assez large les fichiers de la DGFiP. Cette dérogation au secret fiscal est-elle assortie de garanties suffisantes pour les contribuables ? Je tiens à vous poser la question dès à présent car nous sommes en train d’intégrer dans le droit national les dispositions du règlement général de protection des données.
Vous avez rappelé l’importance de rendre effective l’obligation déclarative fiscale des plateformes d’économie collaborative, mais qui continue de se heurter à des difficultés techniques et juridiques. Le texte va améliorer la connaissance par l’administration des revenus provenant de l’économie collaborative, des professionnels utilisant des plateformes – nous y avons beaucoup insisté avec le président Woerth. Reste que nombre de ces plateformes ne sont pas françaises, certaines pouvant ne pas prévoir dans leur infrastructure informatique des éléments devant pourtant être communiqués aux termes du présent texte, qu’il s’agisse de l’identité précise de l’utilisateur ou des coordonnées bancaires – je pense aux plateformes de voitures de transport avec chauffeur (VTC). Pouvez-vous nous confirmer que les nouvelles obligations ne vont pas se heurter à un problème de territorialité, surtout si ces obligations supposent des évolutions informatiques qui modèlent l’organisation des plateformes étrangères ? Par ailleurs, pour les plateformes de VTC, est-il prévu un travail conjoint afin d’harmoniser les obligations déclaratives prévues par la loi du 29 décembre 2016 relative à la régulation, la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes, dite « loi Grandguillaume » ?
Le Conseil d’État regrette la faiblesse de l’étude d’impact sur l’article 7 : il déplore l’absence d’éléments relatifs au volume des fraudes et à la nature des prix des prestations des professionnels ciblés par cet article. Votre ministère entend-il y remédier avant la discussion du texte afin de s’assurer de la bonne information du Parlement ?
J’ai également une question sur les paradis fiscaux, l’article 11 prévoyant d’en élargir la liste. Je me réjouis vraiment de la volonté du Gouvernement de progresser sur ce sujet délicat, et du fait qu’il retienne les critères européens. La modulation des contre-mesures en fonction de la gravité de la pratique me paraît pertinente. Nous avons néanmoins déjà évoqué la liste européenne : elle a suscité des interrogations quant aux modalités d’application des critères retenus. En outre, certains États membres de l’Union ne font pas preuve d’une particulière vertu fiscale – disons-le ainsi –, ce que du reste rappelait le rapport du Parlement européen remis au mois de décembre dernier.
Vous avez parlé d’exigence, monsieur le ministre ; que compte faire le Gouvernement vis-à-vis de ses partenaires très proches, certes, mais en même temps très peu coopératifs ?
M. le ministre. En ce qui concerne ce que l’on pourrait appeler les pays de « petite vertu fiscale », pour reprendre la caricature du rapporteur général – et que je partage –, on en compte trois types : ceux dont la France considère qu’ils sont des paradis fiscaux ; ceux qui, en plus de ces derniers, le sont aux yeux de l’Union européenne – la difficulté est qu’il suffit qu’ils déclarent avoir pris telle ou telle mesure pour qu’on les raye de la liste des paradis fiscaux, ce qui nous semble insuffisant, à Bruno Le Maire et à moi-même, mais également au commissaire européen Moscovici ; aussi, après 2019, nous passerons de la déclaration au constat, si bien que la liste aura tendance à s’allonger… – ; enfin, au sein de l’UE, les États qui – au-delà des différences de fiscalité, la fiscalité relevant de la souveraineté – n’ont pas toujours une manière très vertueuse, si l’on veut, de considérer l’évasion fiscale. Nous allons nous efforcer de ramener ces derniers à la raison. Certains ont déjà beaucoup progressé, comme les Pays-Bas, ce que reconnaît l’OCDE. Je me rendrai dans les pays qui posent encore problème d’ici à l’adoption du texte, et je vous rendrai compte de l’état de nos discussions : soit ils souhaitent progresser dans le sens de l’harmonisation fiscale et de la lutte contre l’évasion fiscale, soit ils considèrent qu’il s’agit de préserver un avantage comparatif et alors nous prendrons les mesures adéquates.
Le Président de la République a d’ailleurs marqué son intérêt pour que la lutte contre les paradis fiscaux ou contre les trous noirs fiscaux soit la même au niveau européen et au niveau international. En effet, au-delà de considérations sur les inégalités que provoquent leurs pratiques, ils peuvent contribuer au financement du terrorisme. Nous entendons par conséquent, aussi, œuvrer pour la sécurité nationale.
Vous avez évoqué, monsieur le rapporteur général, l’avis du Conseil d’État sur l’article 7. Nous compléterons ce qui doit l’être pour la bonne information du Parlement et je compte d’ailleurs sur ce dernier pour y aider le Gouvernement. Indépendamment même de la police fiscale, lorsque les inspecteurs constatent, par des perquisitions fiscales, qu’on a proposé à des gens des montages d’évasion – et non d’optimisation –, donc des montages frauduleux, ils n’ont pas les moyens de faire condamner ceux qui sont à la source de cette fraude, ceux qui en sont les ingénieurs, ce qui est dommage. Sans doute faut-il savoir bien distinguer ce qui relève du conseil, de l’optimisation et ce qui relève de l’évasion, de la fraude ; les associations professionnelles sont d’ailleurs parfois les premières à demander un éclaircissement pour que le métier de conseil ne soit pas entaché par des irrégularités commises par quelques délinquants.
On compte 276 plateformes d’économie collaborative en France. Parmi elles, 70 % ont leur siège social en France. La question que vous me posez, monsieur le rapporteur général, concerne par conséquent plutôt les 30 % qui restent. Comme il s’agit bien ici de la déclaration des revenus, la question ne se pose pas de savoir si elles sont ou non françaises, si elles ont ou non leur siège en France. Les amendes prévues sont peut-être trop faibles pour être dissuasives.
M. Joël Giraud, rapporteur général. Très juste !
M. le ministre. C’est pourquoi je serai ouvert à vos propositions pour les renforcer car il ne s’agit pas de proposer des amendes en peau de lapin, comme disait ma grand-mère, cette grande philosophe très peu connue du début du XXe siècle et qui a beaucoup inspiré Marc Le Fur…
Il faut que la menace constituée par la sanction soit à la hauteur de l’ingéniosité des fraudeurs, même s’il ne s’agit pas, j’ai déjà eu l’occasion de le dire au cours de débats parlementaires, de freiner l’économie collaborative, qui produit de la richesse et présente un intérêt certain, mais simplement de faire en sorte que ceux qui en tirent des revenus puissent déclarer le juste impôt. La question des modalités d’imposition se posera le moment venu et je sais qu’il existe déjà des pistes de réflexion à ce sujet, notamment les amendements que vous avez déposés lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2018, monsieur le président. Si ce n’est pas dans ce cadre que nous prendrons une décision au sujet de la fiscalité des plateformes collaboratives, le prochain PLF nous donnera une nouvelle occasion d’en discuter.
Enfin, pour ce qui est de la question importante qu’est l’ouverture des fichiers de la DGFiP, je veux dire que le secret fiscal sera évidemment préservé. Les Français savent que l’administration fiscale est garante du secret fiscal, donc de leur intimité, ce qui contribue sans doute à ce qu’ils fassent preuve d’un civisme remarquable en matière de paiement de l’impôt sur le revenu, qui atteint le taux de 97 %.
J’en profite pour souligner que la remise en cause du « verrou fiscal » entraînerait celle du secret fiscal puisque, dès lors qu’un dossier serait évoqué devant un tribunal, il deviendrait public. On ne peut évoquer le risque que le prélèvement de l’impôt à la source entraîne un risque de publication des données personnelles, même pour ceux qui auraient opté pour l’application du taux neutre et, dans le même temps, faire abstraction du même risque pour ce qui est des procédures de redressement – étant précisé, d’ailleurs, que les contribuables démontrent parfois qu’ils ont raison, l’administration fiscale n’ayant pas la science infuse.
Bien évidemment, si le secret fiscal est garanti, les données fiscales feront cependant l’objet de traitements basés sur les nouvelles technologies, notamment l’utilisation d’algorithmes.
Mme Émilie Cariou. Monsieur le ministre, c’est avec plaisir que le groupe La République en Marche accueille ce projet de loi sur la fraude fiscale, qui fait écho à plusieurs amendements que nous avions déposés durant l’examen des lois de finances. Le texte aborde également la question de l’optimisation fiscale, puisque vous avez intégré la liste européenne des paradis fiscaux, ce qui va contribuer à permettre de lutter contre ce phénomène. Pour ce qui est du périmètre de cette liste, les choses ont encore vocation à évoluer à Bruxelles, et sans doute aurons-nous l’occasion d’y revenir dans le cadre de débats parlementaires.
Mes questions seront concentrées sur la police fiscale.
Je suis favorable à la création de cette police, qui va venir renforcer les effectifs de la BNRDF. Pouvez-vous nous confirmer qu’elle interviendra dans le même cadre que la brigade, c’est-à-dire dans les enquêtes judiciaires fiscales, consistant à collecter des éléments de preuve avant de les fiscaliser en vue d’un contrôle ? Je rappelle que la BNRDF est saisie lorsque les services fiscaux ne sont pas en mesure de collecter eux-mêmes les éléments de preuve.
Pouvez-vous nous expliquer comment les dossiers vont être aiguillés entre la BNRDF, le service national de la douane judiciaire (SNDJ) et cette nouvelle police fiscale ? Ne pensez-vous pas qu’il conviendrait d’institutionnaliser la manière dont les dossiers seront répartis ?
La nouvelle police fiscale aura-t-elle une compétence nationale, et pourra-t-elle travailler avec tous les autres services fiscaux, ainsi qu’avec les groupes d’intervention régionaux (GIR) ? Le cas échéant, savez-vous quels types de dossiers auront vocation à être confiés à la police fiscale ?
La mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales a mis en évidence un certain nombre de bonnes pratiques en matière de collaboration entre l’administration fiscale et la justice – une collaboration qui va se mettre en place, puisque le nouveau service sera placé sous l’autorité d’un juge. Il conviendrait de généraliser ces bonnes pratiques et d’institutionnaliser le dialogue entre les différents services au cours de la vie des dossiers. Je vois dans la création de la police fiscale un premier signe de collaboration effective entre les services – ou plutôt un deuxième, après la création de la BNRDF, que M. Woerth avait appelée de ses vœux lorsqu’il était ministre du budget et des comptes publics.
Enfin, vous savez qu’une directive européenne sur la publication des montages fiscaux a été adoptée. Votre projet de loi ne serait-il pas l’occasion de prévoir la transposition de cette directive en droit français ?
Mme Véronique Louwagie. Pour le groupe Les Républicains, il est important que l’État sache s’adapter aux nouvelles techniques de fraude fiscale, et se dote pour cela d’un arsenal permettant de lutter contre elles.
Il sera intéressant de voir comment l’article 1er du projet de loi, qui a pour objet la création de la police fiscale, va s’articuler avec les décisions qui seront prises au sujet du « verrou de Bercy ». Cela dit, je comprends que le projet de loi n’aborde pas cette question : cela laisse en effet à la mission d’information commune de l’Assemblée le temps de mener sa réflexion à terme.
Par ailleurs, je remarque que vous n’avez pas du tout évoqué la coopération avec les autres pays européens sur les dispositifs à mettre en place afin de constituer un véritable arsenal de lutte contre la fraude fiscale. Cette coopération est pourtant nécessaire, car les grands fraudeurs dont vous avez parlé opèrent à une échelle qui leur permet de se jouer des frontières : pouvez-vous nous indiquer s’il est prévu de prendre des mesures favorisant la coopération européenne et internationale ?
Pour ce qui est de l’article 7, vous avez indiqué qu’il visait à permettre de sanctionner les tiers qui concourent à l’élaboration de montages frauduleux. Or, la distinction entre fraude et optimisation n’est pas facile à établir, et peut même se révéler litigieuse dans certains cas. Avez-vous engagé une réflexion sur ce point, et commencé à mettre au point des outils ?
Aujourd’hui, la nouvelle réglementation des logiciels de caisse pour les commerçants pose de vrais problèmes d’application sur le terrain, notamment en ce qui concerne les balances de comptoir poids-prix : un grand nombre de commerçants ne savent pas s’ils sont soumis ou non à la nouvelle réglementation de certification des logiciels de caisse. Une foire aux questions a été ouverte sur le site du ministère, mais ce qu’on y trouve ne répond pas à toutes celles que se posent les commerçants. Il serait bon d’avoir des réponses précises sur ce point, mais aussi de définir exactement où se situe la ligne entre optimisation et fraude, si nous voulons éviter que ne surviennent des conflits.
S’agissant de l’article 11, je suis très étonnée que nous maintenions deux listes : d’une part, une liste française des États et territoires non coopératifs en matière fiscale, d’autre part, une liste adoptée à l’échelon de l’Union européenne. À mon sens, la coexistence de ces deux listes est de nature à affaiblir la portée de l’une et de l’autre, en faisant apparaître qu’il n’existe pas de ligne claire en la matière. Afin d’y remédier, est-il envisagé de ne plus faire référence qu’à une seule liste ?
Mme Sarah El Haïry. Monsieur le ministre, je me réjouis, comme l’ensemble des membres du groupe Mouvement Démocrate et apparentés, de voir que la lutte contre la fraude fiscale est à l’ordre du jour.
Pouvez-vous nous préciser si la création de la police fiscale va se traduire par une réelle hausse des effectifs, ou si elle va simplement donner lieu à un déplacement d’agents. Dans cette dernière hypothèse, d’où viendront les agents affectés à ce nouveau corps : ne risque-t-on pas de déshabiller Pierre pour habiller Paul ?
Pouvez-vous également nous indiquer comment les dossiers seront répartis entre la nouvelle police fiscale et la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale ? Nous souhaitons en effet comprendre comment les différents services vont coordonner leurs actions respectives, afin de vérifier que les risques de dédoublement des missions seront limités.
Vous connaissez notre position historique au sujet du « verrou de Bercy ». Nous aimerions savoir comment les travaux de la mission parlementaire en cours vont s’articuler avec les dispositions de ce projet de loi : la mission sera-t-elle informée suffisamment en amont, et aura-t-elle la possibilité de faire valoir ses propositions par voie d’amendements ?
Enfin, chacun sait qu’en matière de lutte contre la fraude fiscale, on ne fait pas mieux que la simplification fiscale : le plus efficace consiste à supprimer les petites taxes et les niches inutiles, afin d’aboutir à un modèle d’imposition beaucoup plus simple, fondé sur un impôt à taux faible, réparti sur une base large. Une telle évolution figure-t-elle dans votre calendrier ?
M. Charles de Courson. On peut dire de ce texte qu’il va dans la bonne direction, car il part d’une idée toute simple : l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale passe par une coopération de tous les services. C’est la première fois que nous entendons un ministre du budget tenir un discours ne disant pas qu’il ne faut pas toucher au « verrou de Bercy », je m’en félicite, comme mes collègues du groupe UDI, Agir et Indépendants. Il faut maintenant aller au bout de cette démarche, monsieur le ministre, si nous définissons dans la loi les critères de transmission au parquet.
J’ai un vrai problème avec l’article 7, dont les dispositions me semblent se heurter au principe de territorialité du droit français. Certaines entreprises particulièrement astucieuses ne vont pas manquer de faire appel aux conseils d’entreprises étrangères, ce qui va rendre difficile l’application d’une sanction : cela vaut pour les grands groupes, mais aussi pour le cas d’une entreprise qui prendrait pour conseil un avocat spécialisé en matière fiscale qui ne serait pas domicilié en France.
L’article vise à permettre les échanges d’informations entre les différents services, ce qui est une bonne chose. En la matière, la limite est évidemment le respect des libertés publiques. L’étanchéité des systèmes n’étant pas partout la même, que proposez-vous en la matière ?
Enfin, vous savez que j’ai toujours été réservé à l’égard de la procédure du « plaider-coupable », car il me paraît anormal que la reconnaissance de culpabilité ait pour conséquence d’atténuer les sanctions. À mon sens, nous devrons faire preuve d’une grande prudence sur ce point. Qu’en pensez-vous ?
M. Jean-Louis Bricout. Monsieur le ministre, je salue moi aussi, au nom du groupe Nouvelle Gauche, les avancées que comporte ce projet de loi en matière de lutte contre la fraude fiscale. Il était effectivement nécessaire de renforcer l’arsenal juridique dont nous disposons pour mener cette lutte qui coûte cher à notre pays – les mesures concernant les plateformes collaboratives me paraissent particulièrement bienvenues.
Pour ce qui est de la méthode employée, il est prévu de pointer du doigt publiquement les fraudeurs fiscaux en cas de condamnation pénale, sauf décision expresse du juge. La méthode moderne, mais un peu agressive, du name and shame, déjà appliquée par d’autres ministères, a incontestablement le vent en poupe. Très en vogue dans les pays anglo-saxons, elle consiste à dénoncer quelqu’un afin de le couvrir de honte et elle a montré une certaine efficacité. Cependant, ne croyez-vous pas qu’elle comporte le risque de provoquer des accès de folie collective, ce qui a déjà pu arriver par le passé ? Si le changement culturel qu’est le name and shame est perçu par les Britanniques comme une action civique parée de vertus pédagogiques, je ne pense pas qu’il puisse en être de même en France, où toute forme de délation nous renvoie aux heures sombres de notre histoire. À l’heure où les réseaux sociaux exercent une influence considérable, ne craignez-vous pas que le fait de désigner publiquement certaines personnes n’aboutisse à des effets décuplés par le rôle de ces réseaux, qui contribueraient à créer au sein même de notre société de véritables tribunaux populaires ?
Votre projet de loi prévoit la création d’une brigade d’officiers fiscaux judiciaires au sein du ministère chargé du budget. Pouvez-vous nous préciser comment cette police se coordonnera avec les autres services, en d’autres termes comment Bercy va mener son action en lien avec celle de la police judiciaire, qui relève du ministère de l’intérieur ?
En matière de fraude fiscale, vous instaurez une procédure de « plaider-coupable » censée apporter une réponse plus rapide et plus efficace. Êtes-vous persuadé d’obtenir l’effet attendu, et ne craignez-vous pas qu’au contraire, ce dispositif n’aboutisse qu’à prononcer des remises gracieuses quand le fraudeur estime sa cause indéfendable ?
Pour ce qui est de l’article 11, je trouve votre projet un peu en retrait par rapport à la proposition de loi faite par notre collègue Fabien Roussel, notamment en ce qui concerne le renforcement des droits du Parlement en la matière.
Enfin, vous êtes-vous fixé un objectif en termes de récupération de recettes fiscales, et, le cas échéant, qu’avez-vous l’intention de faire des recettes supplémentaires ainsi perçues ?
M. Éric Coquerel. Monsieur le ministre, je vous avoue que le groupe de La France insoumise est beaucoup moins enthousiaste vis-à-vis de votre projet de loi que la plupart des collègues qui se sont exprimés avant moi. Certes, face à l’ampleur des phénomènes de fraude en matière fiscale, douanière et sociale, il apparaît nécessaire de réagir, mais je crains que les mesures que vous proposez ne soient qu’un coup d’épée dans l’eau. Or, il serait particulièrement dommageable que l’on prétende avoir réglé le problème, alors qu’on n’a pratiquement rien fait pour y remédier.
J’observe d’abord que la plupart des mesures allant dans le bon sens ne vont pas assez loin et ne sont donc pas suffisamment dissuasives. Ainsi, quand vous proposez, à l’article 7, d’appliquer aux avocats fiscalistes et aux cabinets de conseil proposant à leurs clients des schémas de fraude fiscale une amende pouvant aller jusqu’à 50 % des honoraires perçus, on ne peut s’empêcher de trouver étrange qu’il soit considéré que seule la moitié des revenus obtenus de manière illégale est indue.
Pour ce qui est des paradis fiscaux, nous sommes réellement déçus, car nous vous avions entendu expliquer que les déclarations de la Commission européenne étaient insuffisantes, et il n’était donc pas iconoclaste de penser qu’on allait s’occuper des paradis fiscaux européens – or, on en reste à la liste des neuf dressée à Bruxelles, ce qui est notoirement insuffisant.
Je suis sceptique aussi face à la logique du « plaider-coupable », consistant en fait à négocier avec les fraudeurs, car je crains que cela n’aboutisse à avantager les gros fraudeurs, c’est-à-dire ceux qui disposent des moyens de faire pression par un chantage à l’emploi ou grâce aux conseils obtenus auprès de juristes spécialisés.
Je ne vois qu’un faux-semblant dans la création de la police fiscale. Premièrement, il ne s’agit que d’un transfert de personnels provenant de la DGFiP, sans aucune création de postes. Deuxièmement, un service composé de trente personnes n’aura qu’une faible capacité d’action, et la création de ce service est bien loin de compenser la suppression de 3 100 emplois constatée depuis 2010 et largement dénoncée par les syndicats.
Pour ce qui est du « verrou de Bercy », je pense, comme Charles de Courson, que votre proposition ne va pas assez loin. Comme vous l’avez expliqué lors de votre récente audition par la mission d’information commune sur les procédures de poursuite des infractions fiscales, vous souhaitez en fait mettre en place un double verrou de Bercy, en instaurant un filtrage par l’Assemblée – ce qui n’entre pas dans le cadre de sa mission de contrôle – sans que le parquet puisse porter plainte pour fraude fiscale au nom de la société.
Je passe sur l’interdiction d’exercer un mandat social pour les dirigeants de société et sur la protection des lanceurs d’alerte, qui font toutes deux défaut à ce projet.
Enfin, je déplore que vous fassiez mine de vous attaquer à la fraude fiscale sans rien prévoir pour lutter l’optimisation fiscale qui, selon moi, n’est rien d’autre qu’une évasion fiscale légale, un véritable cancer de notre société, ce qui a été dénoncé dans le cadre des Paradise papers.
On sait que la fraude fiscale représente 60 à 80 milliards d’euros de pertes de recettes – un chiffre sur lequel s’accordent de nombreux syndicats. Pouvez-vous nous préciser quelle proportion de cette somme vous espérez récupérer grâce aux dispositions contenues dans ce projet ?
M. Jean-Paul Dufrègne. Vous aviez suscité de grands espoirs, monsieur le ministre, en nous promettant qu’on allait voir ce qu’on allait voir… En fait d’artillerie lourde, nous n’avons eu droit qu’à un pétard mouillé, avec un texte qui se révèle très décevant.
Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine reconnaît qu’il contient quelques dispositions positives, notamment sur le rôle des intermédiaires qui concourent à la fraude fiscale, des acteurs qu’il est tout à fait pertinent de viser, car ils sont l’un des rouages essentiels de la mécanique d’évasion fiscale. Le débat sur le niveau de sanction à leur appliquer devrait être très intéressant.
La méthode du name and shame, qui consiste à rendre publics les cas de fraudes les plus graves, peut être un outil pertinent dans la mesure où il vient compléter un arsenal de sanctions existantes.
Plus largement, les quelques mesures qui donnent davantage de pouvoirs aux agents nous semblent aller dans le bon sens.
Cela dit, nous éprouvons un grand scepticisme vis-à-vis d’un certain nombre de dispositions. Alors que nous sommes favorables à la suppression du « verrou de Bercy », votre projet ne prévoit rien à ce sujet et, si vous laissez la mission d’information commune se terminer, vous avez fait des annonces relatives au thème sur lequel elle travaille.
L’annonce de la création d’une police fiscale et du détachement de trente à cinquante agents pour cette mission est une bonne nouvelle, mais il est permis de s’interroger sur l’efficacité du dispositif dès lors que des centaines de postes sont supprimés chaque année à la DGFiP – elle a ainsi perdu 3 200 emplois en cinq ans.
La procédure du « plaider-coupable » nous inspire également beaucoup de scepticisme. Nous nous demandons, en particulier, comment elle s’articulera avec la convention judiciaire d’intérêt public instaurée par la « loi Sapin II », qui a débouché sur une amende de 300 millions d’euros payée par HSBC, alors que cette banque avait blanchi pour 1,6 milliard !
Nous avons relevé d’importantes lacunes que nous proposerons de rectifier par voie d’amendement – on se demande, par exemple, où est passée la publicité des rescrits fiscaux, un temps évoquée.
Le sujet des paradis fiscaux, dont il est question à l’article 11, nous tient particulièrement à cœur. En la matière, votre projet de loi s’inspire de la liste européenne, ce que nous avions proposé il y a peu de temps, nous heurtant à un refus de votre majorité. En revanche, le texte exclut d’office les États européens, alors que certains sont, comme on le sait, des États pirates en matière fiscale – je pense à l’Irlande, au Luxembourg et aux Pays-Bas.
Pour ce qui est des sanctions, nous serons vigilants quant à l’existence d’éventuels trous dans la raquette. Nous proposerons également de renforcer la transparence dans l’élaboration de la liste, par le biais d’un mécanisme d’information des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, comme cela était prévu dans notre proposition de loi, et souhaitons connaître votre avis sur ce point.
Un observatoire composé d’experts indépendants, de parlementaires et de fonctionnaires de Bercy pourrait également appuyer le Parlement dans le contrôle de cette liste : qu’en pensez-vous ?
Enfin, nous avons quelques propositions complémentaires, consistant à mettre au point un véritable reporting public, pays par pays européen ; à inscrire la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales dans la Constitution ; à organiser une conférence des parties (COP) fiscale mondiale ; et à accroître les restrictions d’accès à la commande publique pour les contribuables présents dans les paradis fiscaux.
M. le ministre. Pour répondre à Mme Cariou, je précise que l’aiguillage des dossiers sera effectué par le magistrat qui en sera saisi : c’est lui qui choisira à quel service il attribue telle ou telle enquête – en plus des services douaniers et de la BNRDF, il pourra désormais faire appel à la police fiscale. Bien évidemment, chacun des trois services aura compétence nationale, et la police fiscale interviendra, comme la BNRDF, dans le cadre d’enquêtes judiciaires fiscales consistant à collecter des éléments de preuve.
Je ne souhaite pas évoquer le sujet du « verrou de Bercy » : j’attendrai pour le faire d’avoir pris connaissance des conclusions de votre mission d’information, devant laquelle je me suis déjà exprimé longuement, et de la discussion parlementaire – comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je considère que c’est un amendement d’origine parlementaire et non gouvernementale qui devra servir de base à cette discussion.
J’attache une grande importance au respect du secret fiscal, qui me semble assez bien protégé, même si toutes les administrations ne présentent peut-être pas la même étanchéité que les services fiscaux. Je rappelle que la violation du secret fiscal est lourdement sanctionnée, puisque la loi prévoit cinq ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Si le Parlement souhaite renforcer la protection des citoyens, il peut le faire dans le cadre de ce texte, je n’y vois évidemment pas d’inconvénient – même si les sanctions existantes sont déjà relativement importantes.
J’ai bien entendu ce que vous m’avez dit au sujet des problèmes posés par les logiciels de caisse, madame Louwagie, et je vous invite à me soumettre les cas particuliers dont vous auriez connaissance. Plus largement, la DGFiP peut sans doute faire un petit effort en matière d’information, et M. le directeur général des finances publiques se tient à la disposition de votre commission pour lui fournir toutes les précisions et explications qui pourraient se révéler nécessaires. De mon côté, j’ai déjà beaucoup simplifié ce qu’avait prévu le gouvernement précédent au sujet des logiciels de caisse, mais sans doute y a-t-il encore à faire en la matière, et je suis à votre écoute pour améliorer ce qui doit l’être.
Pour ce qui est de la coopération internationale, les dispositions à prendre en la matière ne relèvent pas du domaine législatif, ce qui explique que ce texte ne prévoie rien à ce sujet, mais si vous le souhaitez je répondrai à vos questions en séance sur notre engagement dans ce domaine.
Mme El Haïry a évoqué la police fiscale et ses effectifs. Je précise que ceux-ci, composés d’une cinquantaine d’agents qui ne viendront pas amputer ceux de la BNRDF, auront pour mission spécifique de lutter contre la fraude fiscale. L’une des difficultés de la BNRDF, c’est qu’en aucun cas un agent du fisc ne peut être chef de mission : c’est toujours un policier – or, ce sont deux métiers différents, même si les deux corps effectuent des enquêtes en commun et partagent leurs informations. J’ai l’intention de prendre un arrêté de création d’un service de police fiscale, qui sera placé à côté du SNDJ afin de profiter de son expérience de quinze ans, qui lui a permis d’afficher de nombreux succès – en 2017, plus de 862 millions d’euros ont été saisis. Le SNDJ accomplit un travail remarquable en matière de lutte contre l’escroquerie à la TVA, qui est l’impôt donnant lieu au plus grand volume de fraude en France, et représentant plus du tiers des dossiers transmis à la commission des infractions fiscales.
Indépendamment de ses encouragements, qui sont assez rares pour être soulignés, M. de Courson a notamment évoqué la technicité de l’article 7. Il a raison, mais je pense qu’il ne faudrait pas, sous prétexte qu’elles sont complexes, ne pas mettre ces dispositions en œuvre, même si le Conseil d’État a émis quelques réserves, et même si la distinction entre évasion, optimisation et fraude est parfois difficile.
On compte sur les doigts d’une main les condamnations pour complicité de fraude fiscale par les tribunaux – je pense notamment au cas d’un conseil, condamné dans le cadre d’une affaire importante, qui a fait l’objet d’une certaine médiatisation –, et nous ne tarirons pas la fraude à la source si nous ne condamnons pas les montages qui ne sont pas de l’optimisation mais bel et bien de l’évasion fiscale.
Il existe en la matière des éléments de preuve tout à fait objectifs, et il est, par exemple, très frustrant, pour un contrôleur fiscal qui saisit des mails d’un conseil proposant ouvertement à son client un montage illégal, de ne pas pouvoir le faire condamner.
Vous vous êtes également interrogé sur le fait que ces conseils puissent agir de l’étranger et être ainsi protégés. En effet, et c’est la raison pour laquelle je pense, comme nos amis communistes, qu’une coopération internationale s’impose. Cela étant, si nous parvenons déjà à pénaliser ces montages en France et en Europe, nous aurons progressé. N’ajoutons donc pas plus de technicité encore à cet article 7 ; nous aurons tout lieu d’être satisfaits s’il est adopté en l’état et que le Conseil constitutionnel ne le censure pas.
La procédure du « plaider-coupable », introduite par l’article 9 ne me paraît nullement une concession au laxisme. Je constate d’ailleurs une forme de contradiction dans les propos de M. Coquerel, qui ne peut pas nous reprocher à la fois d’introduire du laxisme dans la procédure pénale et de vouloir conserver le monopole des sanctions administratives en matière de fraude fiscale. Ce n’est pas parce qu’il existe une possibilité de « plaider-coupable » devant le juge que celui-ci ne peut pas prononcer de lourdes condamnations.
Par ailleurs, nous ne faisons ici qu’étendre à la fraude ce qui existe déjà en matière de blanchiment de fraude fiscale. Pour votre information, entre 2012 et 2016, la procédure du « plaider-coupable », qui limite à cinq ans d’emprisonnement la sanction applicable au blanchiment de fraude fiscale, a été utilisée dans 65 000 affaires sur 75 000, et a abouti à 36 700 condamnations. J’ajoute qu’avec cette procédure, les affaires ont été traitées en six mois en moyenne, contre trois ans lorsque c’est la procédure pénale ordinaire qui s’applique, sans compter les appels qui, après le premier jugement peuvent encore allonger les délais de plusieurs années. Il me semble donc que, si vous souhaitez obtenir des condamnations qui ne soient pas simplement pécuniaires mais morales, infamantes, publiques pour les cols blancs, le « plaider-coupable » est un instrument adapté, qui, en outre, permet d’aller vite.
Sachant enfin que, sur ces 75 000 affaires, seules 50 ont été classées sans suite, il ne me paraît pas qu’on puisse parler de laxisme. Reste qu’il faut en finir avec ce fantasme du juge qui condamnerait systématiquement les fraudeurs fiscaux à de la prison ferme. J’ai eu l’occasion de rappeler devant votre mission d’information commune que, sur les sept cents dossiers que j’avais évoqués, le juge n’avait prononcé une peine de prison ferme que dans soixante-cinq cas, et encore n’était-ce pas, à ma connaissance, sur le seul chef d’accusation de fraude fiscale. Vouloir que l’administration se dessaisisse au profit du juge et que celui-ci prononce les peines dont vous jugez qu’elles sont appropriées me paraît contraire au principe de séparation des pouvoirs.
Je le redis donc, ce n’est pas parce que des dossiers sont transmis par l’administration à l’autorité judiciaire qu’ils se soldent automatiquement par une condamnation à de la prison ferme et que cette peine sera exécutée. Penser le contraire relève d’un présupposé idéologique.
En ce qui concerne le name and shame, monsieur Bricout, je comprends vos inquiétudes, mais c’est au seul juge que reviendra la décision de rendre publique ou non une condamnation. J’ajoute qu’en matière de sanctions administratives, ce name and shame ne peut concerner que les personnes morales et non les personnes physiques, pour des raisons bien comprises de respect de la vie privée.
Par ailleurs, le Gouvernement ne s’est pas fixé d’objectif quantitatif, sinon celui de récupérer davantage que ce n’est le cas aujourd’hui. Il me semble que votre groupe, qui condamne la politique du chiffre dans le domaine de la sécurité, est assez malvenu de la réclamer en matière de politique fiscale. Il faut être cohérent.
Monsieur Dufrègne, vous m’avez interrogé sur la publicité des rescrits fiscaux. Cela ne relève pas du domaine législatif, mais, ainsi que je l’ai promis lors de nos débats sur la loi pour un État au service d’une société de confiance, cela sera fait.
Concernant l’affaire que vous avez évoquée, la sanction de 300 millions ne portait pas sur de la fraude mais sur du blanchiment. Par ailleurs, on évalue à plus de 8 milliards les montants régularisés par le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR).
Enfin, ce projet de loi me paraît le véhicule approprié pour transposer la directive sur la déclaration obligatoire des montages fiscaux, ce qui doit être fait avant la fin de l’année.
Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. Nous sommes globalement heureux de l’arrivée prochaine sur le bureau de l’Assemblée de ce projet de loi. Un euro, cela compte pour nos concitoyens, et il ne se passe pas une journée sans que j’en rencontre qui me disent que, s’ils sont d’accord pour faire des efforts, transformer et réformer la France, ils veulent qu’on en finisse avec la fraude fiscale. Ce projet est donc un signal fort envoyé aux Françaises et aux Français ; je l’accueille très favorablement.
Mme Amélie de Montchalin. Je tenais à saluer l’ampleur politique et l’ambition de ce texte, dans la continuité des propositions faites depuis des années par les différents gouvernements et groupes politiques. Il dépasse enfin certaines limites – réelles ou imaginaires. En effet, il y aura désormais des magistrats et des officiers judiciaires à Bercy, la publicité des sanctions sera possible et l’on va établir un lien fort entre la liste européenne des paradis fiscaux, élaborée il y a quelques mois, et les sanctions définies par les autorités françaises, ce qui fait le lien avec le travail de notre collègue Fabien Roussel et sa proposition de loi, dont nous avions longuement discuté en commission et dans l’hémicycle.
Quels sont à vos yeux, au-delà de ce texte, les champs où le travail reste à poursuivre et où les propositions des parlementaires pourraient le compléter ? Une seule loi ne suffira pas pour gagner le combat contre la fraude fiscale : quelles sont donc les lignes que nous devons continuer à faire bouger ?
M. Patrick Hetzel. Avec ce projet de loi, vous créez un service de police fiscale au sein du ministère de l’action et des comptes publics, ce qui mérite d’être salué. Comment se fera la coordination ministérielle entre les officiers fiscaux judiciaires qui exerceront au sein de votre ministère, le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice ?
M. Laurent Saint-Martin, président. Comment pouvons-nous nous assurer qu’à l’avenir, la DGFiP et la direction générale des douanes et droits indirects se verront octroyer les mêmes pouvoirs, de manière à pouvoir opérer conjointement et à lutter à armes égales contre la fraude, ce vers quoi tendent de façon intéressante les articles 2 et 3 du projet de loi ?
Une cellule de data mining a été créée en 2014 au sein de la DGFiP, dédiée dans un premier temps au « ciblage de la fraude et à la valorisation des requêtes » chez les professionnels. Depuis 2017, elle a travaillé de façon expérimentale, sur des comptes de particuliers. Pourriez-vous nous dresser un premier bilan de son activité ? Comment jugez-vous son efficacité ? Dans quelle mesure peut-elle être rattachée aux autres dispositifs proposés par ce projet de loi ?
Enfin, pourquoi ne pas être allé jusqu’à ouvrir aux agents de Pôle emploi le droit de communication, comme cela a été fait pour les agents des Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) ?
M. Fabrice Le Vigoureux. La cellule de data mining a en effet été essentiellement mobilisée depuis 2014 sur la fraude à TVA, puis étendue, à titre expérimental, aux particuliers, sur le modèle italien, si j’ai bien compris c’est-à-dire qu’elle travaille en analysant les écarts éventuels entre les déclarations potentiellement frauduleuses et les trains de vie des déclarants.
Disposez-vous à Bercy de suffisamment d’agents formés et de spécialistes du big data pour la faire fonctionner ? Dans le cadre de la stratégie CAP 2022, quels sont les dispositifs d’accompagnement, de formation ou de redéploiement mis en place ou envisagés pour tirer le meilleur potentiel du big data en matière de lutte contre la fraude fiscale ?
M. Julien Aubert. Ce texte est un bon texte mais il lui manque d’être accompagné par une orientation claire de ce que veut être votre politique de contrôle fiscal. En effet, quels objectifs assignez-vous à cette modernisation de nos dispositifs, alors que M. Bruno Le Maire annonce la suppression des commissaires aux comptes dans les petites entreprises, ce qui ne semble pas très cohérent avec votre volonté de faire progresser la lutte contre la fraude fiscale ?
Je regrette ensuite que vous ayez disjoint fraude fiscale et fraude sociale dans un projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, qui comporte quelques références à la fraude sociale. Ne faudrait-il pas d’ailleurs donner une définition claire de ce qu’est la fraude sociale ?
Le projet de loi entend pourchasser les professionnels complices des manquements fiscaux. À cet égard, on sait que certains de ses opposants ont incité les cotisants du Régime social des indépendants (RSI) à s’en désolidariser, notamment pour cotiser à l’étranger : sont-ils susceptibles d’être condamnés ou poursuivis ? Vous semblez distinguer les fraudeurs volontaires de ceux qui fraudent par méconnaissance des règles, mais dans quelle catégorie ranger les cotisants du RSI qui fraudent volontairement parce que le régime ne fonctionne pas ?
Il serait donc souhaitable que vous précisiez vos véritables orientations politiques et qui sont les fraudeurs que vous visez véritablement.
M. Xavier Paluszkiewicz. Nous sommes quasiment tous satisfaits de ce projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, qu’elle soit fiscale ou sociale.
Nous débattrons au fond le moment venu, mais il est important de rappeler que la fraude ne cesse s’accroître en France et en Europe, et représente chaque année près de 1 milliard de pertes budgétaires liées à l’évasion et à l’évitement fiscal pour les 27+1 États membres de l’Union européenne.
Nous nous réjouissons donc que la France souhaite prendre à bras le corps le problème de la fraude. Dans cette perspective, que pensez-vous, monsieur le ministre, de la porosité de nos frontières ? Élu dans une circonscription qui jouxte la Belgique et le Luxembourg et ayant travaillé dix-huit ans dans une banque à Luxembourg, je sais le grand nombre de sociétés qui vont s’y implanter pour des raisons financières. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait avant toute chose négocier avec les pays limitrophes de la France une meilleure harmonisation de l’impôt ?
M. Olivier Gaillard. En matière de lutte contre la fraude fiscale, au-delà de la nécessité de renforcer les sanctions, il est primordial de mieux pouvoir identifier les sociétés-écrans, les trusts et leurs propriétaires. De nombreux pays se disent en mesure d’identifier ces derniers, mais comment expliquez-vous que cela soit si compliqué en pratique ? À cet égard, quels sont les apports de ce projet de loi ?
M. Jean-Paul Mattei. On ne peut que se féliciter de ce projet. Certains articles me paraissent ce pendant trop précis, donc un peu limitatifs dans leur application.
Cela étant, dans la logique de ce texte, le législateur et l’administration auront à faire un effort de clarté, en précisant notamment où se situe la limite entre optimisation et fraude. De même, ne peut-on considérer qu’il y a présomption de fraude dès lors que la « carte des pratiques des montages fiscaux abusifs » produite par Bercy n’est pas respectée ?
Est-il enfin envisageable de créer un outil numérique qui permettrait au contribuable de s’assurer qu’il respecte correctement la loi fiscale ?
M. Benoit Simian. Dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2017, le Parlement a voté des dispositions instituant, à partir du 1er janvier 2019, l’obligation pour les plateformes de l’économie collaborative de transmettre automatiquement à l’administration fiscale le montant des revenus générés par leur intermédiaire pour chaque utilisateur. À l’époque, certaines plateformes avait fait part de leur mécontentement vis-à-vis d’une telle mesure, estimant qu’elle serait difficile à mettre en œuvre, du fait de la politique qu’elles appliquaient en matière de divulgation des données personnelles. Cette mesure devait initialement être précisée par décret d’application et finalement insérée dans l’article 4 du projet que vous présentez. Qu’en est-il ?
En obligeant les plateformes à communiquer à l’administration fiscale le montant des revenus générés grâce à elles, cette mesure améliore l’exploitabilité des données collectées par l’administration et, partant, la détection de la fraude. Existe-t-il une estimation du montant que l’administration pense pouvoir récupérer grâce à ce dispositif ?
M. Romain Grau. Je ne peux que me joindre au concert quasi unanime de louanges sur ce texte. Cela étant, comme l’évoquait Charles de Courson au sujet de l’article 7 et des sanctions applicables aux conseils, n’y a-t-il pas nécessité de renforcer la coordination internationale, en particulier dans le cadre du dispositif BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) ?
Par ailleurs n’y a-t-il pas un risque que le Conseil constitutionnel censure le fait que les avocats soient inclus dans les personnes visées par la loi ? N’y aurait-il pas quelques précautions à prendre en la matière ?
Enfin, n’y aurait-il pas lieu, en matière de pénalisation des prestataires complices de montages frauduleux, de viser, ainsi que le permet la directive sur les montages frauduleux, non seulement les personnes mais également les structures qu’elles utilisent, comme les trusts ou les fondations, véritables « trous noirs fiscaux », dans la mesure où, selon une logique radicalement étrangère à notre tradition juridique, elles dissocient la propriété du propriétaire ?
M. Philippe Vigier. Ce projet de loi s’inscrit dans la lignée de tout ce qui a été entrepris, depuis maintenant une dizaine d’années, contre la fraude fiscale, et je ne peux donc que vous apporter, à mon tour, mes encouragements.
Le projet fait néanmoins l’impasse sur les carrousels de TVA. Envisagez-vous des mesures contre cette fraude dont on connaît l’ampleur – on parle de 20 à 30 milliards d’euros – et qu’on ne pourra tolérer éternellement ?
M. Cédric Roussel. L’article 7 du projet de loi prévoit des sanctions administratives applicables aux professionnels qui aident leurs clients à élaborer un montage fiscal frauduleux. Il vise donc ces conseils dont j’ai fait partie, ayant été conseiller en gestion de patrimoine indépendant. À ce titre, je ne peux que soutenir une mesure qui permettra de sanctionner plus efficacement et plus rapidement ceux qui enfreignent la loi et contreviennent à la déontologie de ma profession en aidant leurs clients à frauder.
Je m’interroge néanmoins sur deux points. Alors qu’un conseil n’est en effet pas toujours informé ou complice de la fraude fiscale d’un client, cette mesure ne risque-t-elle pas de l’exposer à une condamnation imméritée ? Si la participation intentionnelle d’un professionnel à la fraude fiscale de son client est au contraire avérée, pourquoi fixer le montant maximum de l’amende à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie, et pourquoi ne pas la porter au montant maximal de 100 % de ces revenus ?
M. François Pupponi. Ce que j’entends depuis tout à l’heure me chagrine un peu. Lorsqu’on parle de fraude fiscale, on parle de redressements qui ont été notifiés par l’administration fiscale et contestés par le contribuable devant une juridiction : c’est seulement après que ce redressement a été validé par la juridiction que la fraude fiscale est avérée, ce qui peut prendre jusqu’à une quinzaine d’années.
Or, les Français voudraient que la sanction tombe immédiatement. Mais nous sommes dans un État de droit, et il nous faut donc choisir entre la sanction administrative et la sanction pénale, car il arrive, dans notre pays, que des contribuables soient pénalement condamnés pour fraude fiscale alors que la procédure de redressement à leur encontre a été abandonnée ! Aucun contribuable ne doit donc être sanctionné avant que la fraude fiscale ait été avérée, ce qui vaut également pour la publication de la condamnation, laquelle d’ailleurs existe déjà.
Je suis en revanche parfaitement favorable aux mesures de votre texte qui visent à renforcer les moyens à la disposition de l’administration fiscale pour identifier plus facilement les fraudeurs.
Il faut donc distinguer la question des moyens, sur laquelle je vous suis, monsieur le ministre, de celle des sanctions – administratives ou pénales ? – entre lesquelles le texte ne tranche pas et sur laquelle il faudra que nous ayons un jour un vrai débat.
M. Fabien Roussel. Le name and shame est une avancée, mais n’a jamais vraiment fait progresser les choses : rappelons-nous que la une de Libération, « Casse-toi, riche con ! », n’a pas empêché Bernard Arnault de continuer à frauder, alors qu’il avait été pris la main dans le pot de confiture et qu’il était en première page des journaux !
Évoquant le « plaider-coupable » et la clémence des peines pour les dossiers portés au pénal, vous avez émis des doutes, monsieur le ministre, sur l’utilité de transmettre les gros dossiers à la justice et laissé entendre qu’il serait plus efficace que Bercy les traite.
Nous croyons en l’exemplarité des peines. Lorsqu’une fraude intentionnelle, portant sur plusieurs millions d’euros, au détriment des caisses de l’État, est avérée, les sanctions doivent être fermes, sévères et exemplaires. Il ne faut pas céder sur ce point. On ne transige pas avec un braqueur autour d’un café, on ne négocie pas avec lui pour savoir comment il va rembourser l’argent volé : on l’envoie en prison !
Enfin, intégrer la liste des paradis fiscaux de l’Union européenne serait un coup d’épée dans l’eau. Cette liste est bidon, puisque les îles Caïman, les Bermudes, les Pays-Bas, l’Irlande, Chypre, Malte – paradis fiscaux notoires, et parmi les pires – n’y figurent pas. À quoi alors servira l’arsenal que vous mettez en place ?
M. Jean-Louis Bourlanges. Un texte qui prévoit l’amélioration des moyens d’information et de communication au profit des autorités répressives ainsi que le renforcement des sanctions ne peut être que bien accueilli par les adversaires résolus de la fraude fiscale que nous sommes.
Vous êtes un médecin très efficace dans ses prescriptions…
M. Julien Aubert. Ses ordonnances !
M. Jean-Louis Bourlanges. Je me garderai bien d’introduire cette ambivalence juridique, cher collègue ! Mais je reste sur ma faim s’agissant du diagnostic.
Certes, comme le pasteur est contre le péché, nous sommes tous contre la fraude. Mais pour qu’une réforme soit comprise, le déphasage entre l’appareil administratif et juridique défaillant et les dérives nouvellement apparues doit être mis en évidence.
Je serais donc curieux de connaître votre analyse profonde des défaillances du système actuel. Face aux phénomènes de la révolution numérique, qui démultiplie les occasions de fraude, et de la mondialisation systématique, que pouvons-nous faire, que ne pouvons-nous pas faire ? C’est sur cette base que nous pouvons construire un texte.
Vous demandez davantage de moyens juridiques et proposez de renforcer les sanctions mais, pour convaincre l’opinion, vous devez être plus pédagogue et expliquer en quoi les instruments dont nous disposions autrefois ne sont plus adaptés à l’évolution des pratiques.
M. Mohamed Laqhila. Vous avez rappelé, fort légitimement, la distinction entre optimisation et fraude. Lutter contre la fraude, c’est bien ; la prévenir, c’est mieux. Ainsi, l’auto-liquidation – la suppression de la TVA pour les sous-traitants – a été adoptée dans le secteur des BTP. On sait que, pour diverses raisons, de nombreuses entreprises qui collectent de la TVA ne la reversent pas. Ne faut-il pas aller plus loin et supprimer le paiement de la TVA pour les entreprises qui y sont assujetties ?
M. le ministre. Madame de Montchalin, et d’autres, m’ont demandé ce que les parlementaires pouvaient améliorer dans le texte. Il va sans dire que vous avez toute liberté d’amender le projet de loi, mais puisque vous m’avez invité à indiquer les sujets sur lesquels le Gouvernement serait particulièrement à l’écoute, je débuterai par celui du « verrou de Bercy ».
La question de François Pupponi, qui y fait écho, est très importante. Si certains pays choisissent la voie judiciaire et d’autres optent pour la voie administrative, le système français est plus sévère envers les contribuables : les deux voies peuvent être empruntées. C’est la raison pour laquelle le « verrou » a été instauré.
Je rappelle que lorsque le principe du monopole de la poursuite par l’administration fiscale a été posé, dans les années 1920, on considérait que c’était l’État qui était lésé et qu’il lui revenait donc de déposer plainte. La commission des infractions fiscales (CIF) a été créée à la fin des années 1970 pour protéger le contribuable des abus de l’administration ou du pouvoir politique, et non, comme on pourrait l’analyser aujourd’hui, pour protéger l’administration – en tout cas les plus gros poissons, comme diraient MM. Fabien Roussel ou Charles de Courson. Le débat est donc renversé.
Nous avons déjà eu ce débat sur le secret fiscal : à partir du moment où la décision de condamnation publiée ou que l’affaire est devant le tribunal, ce que nous appelons fraude fiscale est ce qui, à la fin, est jugé comme tel, monsieur Pupponi.
D’ailleurs, monsieur Fabien Roussel, l’administration transige lorsqu’elle sait que son dossier n’est pas « béton », pour reprendre une expression populaire. Si elle se pense en mesure de confondre le fraudeur, elle a intérêt à le poursuivre devant la justice. Mais il peut lui arriver, compte tenu de la complexité du dossier, des jurisprudences et du fonctionnement général de l’administration, de transiger afin d’être certaine de récupérer l’argent qu’elle risquerait de ne pas retrouver au terme d’une procédure administrative ou judiciaire.
Même si nous pensons que l’objectif principal doit être de récupérer l’argent, et non de faire condamner les personnes dans de petits dossiers, comme M. Fabien Roussel le sous-entend, la peine a une vertu d’exemplarité. La question de savoir si la fraude peut être découragée par une peine de prison, et à partir de quels montants, en proportion de l’impôt dû, une fraude mérite d’être jugée par le tribunal pénal est philosophique ; nul doute qu’elle constituera une ligne de rupture entre les groupes politiques.
Pour autant, on ne peut envisager une automatisation. Dire que l’on transmet à la CIF, puis à la justice les dossiers possiblement concernés par une majoration minimum de 40 %, c’est méconnaître la façon dont l’administration fiscale fonctionne. Les pénalités de 40 %, 80 % et 100 % sont prononcées pour des manquements délibérés. Or, un manquement délibéré n’est pas forcément une fraude. Je l’ai dit devant la mission d’information : si l’on considère que les dossiers concernant une fraude sanctionnée par une majoration de 80 % doivent être transmis automatiquement au pénal, cela fait sauter le verrou de la CIF – parfois protecteur du contribuable –, et oblige l’administration fiscale à réformer son mode d’organisation.
C’est une question très complexe. Il revient au Parlement de fixer les critères dans la loi. Ce n’est ni le rôle de l’administration – même si elle peut ouvrir ses livres et apporter des explications – ni de la justice de faire la loi à la place du législateur. Le débat que nous aurons sera très intéressant, puisqu’il portera à la fois sur les aspects pratiques de la question – comment récupérer l’argent ? – sur le fonctionnement du système, et sur la dimension philosophique.
Si d’autres ont instauré un verrou, la France est le seul pays où coexistent deux juges de l’impôt : le juge administratif et le juge judiciaire. En la matière, nous ne sommes pas les plus laxistes.
Le niveau des sanctions est un sujet sur lequel le Gouvernement n’a pas été assez loin, madame de Montchalin, notamment en ce qui concerne les plateformes collaboratives et les auteurs de montages.
Je ne reviendrai pas sur les nombreuses questions concernant l’article 7. On reproche parfois à la loi d’être trop précise, souvent d’être trop large. Je comprends que cet article 7 sera retravaillé ; sa philosophie est de donner pour base de départ la négociation. Je rappelle que les professions réglementées ont leur propre code de déontologie, et un pouvoir de sanction en cas de manquement. Les conseils qui en font partie sont déjà corsetés par le risque de sanction propre à leur profession. Cet article concerne davantage les professions qui ne bénéficient pas de ce cadre.
Évidemment, monsieur Cédric Roussel, celui qui aura travaillé avec un fraudeur ne pourra être poursuivi si l’objet de sa proposition n’était pas la fraude. Il est possible qu’une société propose un montage d’optimisation, ce qui est tout à fait légal, et que le citoyen ou l’entreprise organise une fraude sans rapport avec le conseil qui lui a été apporté. Dans ce cas, je ne vois pas de raison de condamner le conseil, qui aura fait son travail en toute moralité et légalité.
Les débats parlementaires éclaireront sans aucun doute le Conseil constitutionnel, et demain les tribunaux, sur la volonté du législateur.
Les paradis fiscaux constituent un autre sujet de travail, madame de Montchalin. J’ai donné à MM. Éric Boquet et Fabien Roussel un accord de principe pour que nous puissions débattre chaque année de la liste des paradis fiscaux. Monsieur Fabien Roussel, vous le savez, la liste européenne est basée sur du déclaratif, mais nous pourrons constater un jour si les pays qui ont déclaré devant l’Union européenne (UE) avoir pris des dispositions les ont effectivement prises. Ne faisons pas le débat avant le débat. Si la France va encore plus loin que l’UE, c’est qu’il n’y a pas de raison, quand bien même cela serait-ce par volonté de simplification, de ne pas compléter les informations avec nos propres arguties juridiques et de faire figurer sur la liste des États non coopératifs tel ou tel pays.
Monsieur Aubert m’a interrogé sur la politique et les raisons du contrôle fiscal. La dernière circulaire, signée par le garde des Sceaux et le ministre en charge du budget, date de 2014. Rendre compte devant les commissions des finances de la politique menée en matière de lutte contre la fraude fiscale est dans notre intérêt. Cela permet parfois de tirer des fils nouveaux : ainsi, les certificats d’économie d’énergie, qui n’étaient pas signalés il y a deux ans, font aujourd’hui l’objet de fraudes.
Je souhaite voir augmenter le nombre de vérifications particulières dans les entreprises. Cela permettra de réaliser, dans le cadre de la loi pour un État au service d’une société de confiance, la garantie fiscale. Les entreprises estiment que lors d’une vérification générale, l’inspecteur peut toujours trouver quelque chose et procéder à un redressement, ce qui les place dans une position d’insécurité. Il est préférable que le contrôle porte sur un point précis – l’impôt sur les sociétés ou la TVA par exemple – plutôt que de multiplier les contrôles, à tout moment. Cela permet de conduire une bonne politique fiscale. Sans doute faudra-t-il consacrer une séance de travail à la politique de contrôle fiscal.
Nous voulions un texte ciblé, qui ne soit pas fourre-tout. Aussi ce projet de loi n’aborde-t-il pas la fraude sociale, même s’il traite de la fraude aux cotisations, assimilées à de la fiscalité. De son côté, Muriel Pénicaud a présenté un projet de loi courageux sur le travail illégal. S’agissant de la fraude aux prestations sociales, il faudrait un texte distinct, qui prévoie l’accès de l’administration fiscale aux fichiers, afin que celle-ci soit mieux renseignée.
Je ne doute pas que le débat parlementaire donnera l’occasion d’articuler ce sujet avec celui du droit à l’erreur. M. Guerini pourrait le dire mieux que moi : le droit à l’erreur est présupposé pour tout le monde, pour tous les types d’infraction. Ce qui change, c’est qu’il n’y a pas d’exception au fait que le contribuable et l’entreprise sont, par nature, de bonne foi. Il reviendra à l’administration de faire la preuve de la mauvaise foi, ce qui n’était pas tout à fait le cas auparavant.
M. Vigier m’a interrogé sur les carrousels de TVA. Nous pourrons adapter la directive, en cours de révision, afin de mettre à jour notre fonctionnement. Par ailleurs, le data mining permettra de lutter contre ce système.
Monsieur Laurent Saint-Martin, en 2017, 10 % des contrôles fiscaux ont été programmés à partir du data mining ; l’objectif est de porter cette part à 20 % en 2018 et à 50 % d’ici 2021. Nous allons donc passer à un lac de données ; M. le directeur général des finances publiques est à votre disposition pour vous présenter à Pantin le travail des informaticiens de la DGFiP. Trente agents supplémentaires, comme prévu dans le PLF, rejoindront la petite dizaine de data scientists, parallèlement au décloisonnement des bases de données de la DGFiP évoqué par le rapporteur général. Le recrutement de ces personnels est effectué dans un objectif de modernisation de l’action publique et va de pair avec la modernisation de la fonction publique. Toutefois, s’il est demandé aux personnels de la DGFiP d’être très polyvalents, on ne pourra exiger d’un data scientist de faire du contrôle fiscal traditionnel. Un contrat auquel aura été apporté un peu de souplesse, en lien avec les services d’Olivier Dussopt, permettra de recruter davantage d’agents, pour une technicité qui change quasiment tous les ans. Notre volonté est bien de faire en sorte que la moitié des contrôles, à terme, soient programmés à partir des données tirées de l’administration fiscale et des contrôles passés.
Nous ne disposons pas des chiffres concernant les plateformes collaboratives. Peut-être serait-il intéressant, monsieur le président, qu’un groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat soit créé à ce sujet ? Je constate que les deux chambres sont très attentives aux économies collaboratives et aux recettes fiscales qui peuvent en découler.
Je n’ai pas répondu, monsieur Saint-Martin, à votre question concernant les agents de Pôle emploi. Il me semble que, contrairement à ceux des autres administrations concernées, ils n’entretiennent pas les mêmes relations avec la fiscalité. Peut-être est-ce pour cette raison que le lien n’a pas été fait. Je suis ouvert, en tout état de cause, aux amendements qui pourraient être proposés.
Si la relation entre les douanes et l’administration fiscale est envisagée dans ce texte, elle tient surtout à la gestion des services par l’administration et les directeurs. Nous en avons déjà parlé lors de la présentation de votre rapport spécial dans le cadre du PLF, je suis très favorable à la création, au sein de Bercy, d’une coordination du renseignement fiscal. Celle-ci est compliquée à mettre en place puisque les services – Tracfin ou DNRED –, tout comme les bases de données et les éléments gardés secrets, sont différents. Pour autant, j’estime que cette coordination serait utile.
Pour répondre à M. Hetzel, il ne peut y avoir de difficultés entre les ministères du budget, de la justice et de l’intérieur, puisque le SNDJ, tout comme la BNRDF, ne sont pas des services qui s’autosaisissent, sur instruction du ministre. C’est bien la justice – le procureur de la République ou le juge d’instruction – qui confiera le pouvoir d’enquête à l’un ou l’autre des services. La police fiscale de Bercy sera placée sous l’autorité du magistrat, et ce n’est pas moi, ou mon successeur, qui lui donnera des ordres. Il n’y aura donc pas de guerre des polices ou de guerre des ministères.