Audition du Haut Conseil des Finances Publiques sur la LPFP 2018 – 2022 et le PLF 2018

Mercredi 27 septembre, la commission des Finances a auditionné Didier Migaud, président du Haut Conseil des Finances Publiques, sur les avis du HCFP relatifs au projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 et aux projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018. J’ai notamment relevé à cette occasion que le HCFP avait qualifié en 2016 d’ « optimiste » une prévision de croissance de 1,5 % du PIB pour 2017 ; qu’il juge finalement « prudente » à 1,7 %.

 

 

M. le président Éric Woerth. Créé à la fin de l’année 2012, le Haut Conseil des finances publiques émet un avis sur les prévisions macroéconomiques et l’estimation du produit intérieur brut (PIB) potentiel sur lesquelles repose le projet de loi de programmation des finances publiques. Il émet également un avis sur les prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposent le projet de loi de finances (PLF) de l’année et le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) de l’année.

M. Didier Migaud, président du Haut Conseil des finances publiques. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’avoir invité à m’exprimer devant votre commission, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter les principales conclusions des deux avis adoptés par le Haut Conseil le 24 septembre dernier. Le premier porte sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, le second sur les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.

Je suis accompagné des membres du secrétariat permanent du Haut Conseil : François Monier, rapporteur général, Vianney Bourquard, rapporteur général adjoint, Paul Bérard et Vladimir Borgy, rapporteurs.

Je voudrais tout d’abord saisir cette occasion, devant votre commission récemment formée, pour procéder à une rapide mise en perspective de nos travaux.

Comme vous le savez, le Haut Conseil des finances publiques est une jeune institution, installée en 2013. Elle est née du traité qui a réformé, en 2012, la gouvernance économique et budgétaire de l’Union européenne, plus particulièrement celle de la zone euro, en réponse aux crises des dettes souveraines. La France a rapidement adapté son organisation et ses règles à ce nouvel ordre budgétaire, notamment à travers la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.

Les dix-neuf pays membres de la zone euro et la plupart des autres pays de l’Union ont désormais mis en place des comités budgétaires indépendants. Si leurs missions précises et leurs contours institutionnels diffèrent bien sûr selon les États, ils visent tous à apprécier le réalisme des prévisions macroéconomiques et des trajectoires de finances publiques associées aux textes financiers.

Si le Haut Conseil est une jeune institution, il a déjà rendu un nombre important d’avis. Nous vous présentons en effet ce matin nos vingt et unième et vingt-deuxième avis depuis 2013. Nous avons donc rendu en moyenne à peu près cinq avis par an.

En tant que Premier président de la Cour des comptes, j’ai l’honneur de présider cette instance qui comprend dix autres membres ; cinq sont des personnalités qualifiées désignées par les présidents respectifs de l’Assemblée nationale et du Sénat, par le président des commissions des finances respectives de ces deux assemblées, ainsi que par celui du Conseil économique, social et environnemental. Quatre sont des magistrats de la Cour des comptes. S’y ajoute le directeur général de l’Institut national de la statistique et des études économiques, membre de droit.

Nos avis s’appuient sur l’ensemble des informations disponibles. Elles sont pour partie publiques ; c’est notamment le cas de la majorité des prévisions économiques. Une autre partie des informations, portant notamment sur les finances publiques, nous sont communiquées par les administrations dans le cadre d’une procédure écrite, puis orale. Nous réalisons en outre des auditions de personnalités qualifiées et des représentants d’instituts de prévision.

Ce matin, nous rendons public non pas un mais deux avis. Je les aborderai successivement, en commençant par celui relatif à la programmation des finances publiques.

C’est seulement la deuxième fois que le Haut Conseil se prononce sur un projet de loi de programmation des finances publiques. La première fois, c’était en 2014, sur le projet de programmation pour 2014 à 2019. Aux termes de l’article 13 de la loi organique du 17 décembre 2012, trois missions nous incombent en la matière : nous devons tout d’abord apprécier l’estimation du produit intérieur brut potentiel proposée par le Gouvernement ; nous devons ensuite nous prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées à ce projet ; enfin, nous devons examiner la cohérence de la programmation envisagée au regard de l’objectif d’équilibre structurel à moyen terme retenu et des engagements européens de la France.

Ces trois missions structurent la présentation de notre avis.

Je commencerai par l’estimation de produit intérieur brut potentiel. Le PIB potentiel se définit usuellement comme la production soutenable, c’est-à-dire celle pouvant être réalisée sans engendrer d’effets inflationnistes ou désinflationnistes. La croissance potentielle, elle, correspond à la croissance de ce PIB potentiel. Entre le PIB potentiel et le PIB effectif, celui que l’on constate, il existe un écart, dit « écart de production ». Il permet de mesurer la position de l’économie dans le cycle. Cet écart de production est négatif dans les périodes d’activité médiocre, comme celle que nous vivons depuis une dizaine d’années, depuis la crise financière. Dans ce cas, il nous permet donc de prendre la mesure de la capacité de rebond du pays. À l’inverse, un écart positif est constaté dans les périodes de bonne conjoncture mais permet d’anticiper un ralentissement de la croissance.

Appliqué au domaine des finances publiques, l’écart de production permet d’identifier la composante conjoncturelle du déficit ; ce solde conjoncturel traduit l’impact du cycle économique et la sensibilité des différentes composantes du budget, notamment en recettes, à la conjoncture. Le solde structurel se calcule, lui, par différence, et correspond à la part du solde budgétaire qui est indépendante de la position de l’économie dans le cycle et qui résulte donc directement des orientations de la politique budgétaire.

Ces deux notions d’écart de production et de croissance potentielle ne sont pas des données statistiques ou comptables. Elles procèdent d’estimations – et, en matière d’estimations, il y a toujours des marges d’appréciation. L’ampleur exceptionnelle de la crise financière et les difficultés à apprécier ses conséquences sur l’économie invitent à considérer les écarts de production avec prudence. Ainsi, ces derniers font dans les faits l’objet d’importantes révisions ex post. Les incertitudes sur l’écart de production se transmettent, par construction, à la mesure du solde structurel, qui dépend également de la sensibilité des recettes à la croissance.

Je vous dis que tout ceci est incertain et fragile, mais la mesure du solde structurel n’en est pas moins indispensable pour faire la part dans l’amélioration ou la détérioration des soldes budgétaires de ce qui relève de la politique budgétaire elle-même et de ce qui relève de la conjoncture.

J’en arrive aux estimations du Gouvernement. L’estimation de l’écart de production de 2016 est sensiblement réduite par rapport à celle qui était retenue dans le programme de stabilité d’avril 2017 : – 1,5 % du PIB au lieu de – 3,1 %. Selon cette estimation, nous sommes au-dessous du PIB potentiel, mais nous en sommes moins éloignés que dans les évaluations antérieures.

Cette forte révision à la baisse va dans le sens des observations formulées à plusieurs reprises par le Haut Conseil selon lesquelles cet écart était largement surestimé dans les textes financiers des dernières années. Or quand l’écart de production négatif est surestimé, cela veut dire que le déficit structurel est minoré. La révision opérée par le Gouvernement conduit à rehausser sensiblement l’estimation du déficit structurel, à 2,5 points de PIB en 2016 au lieu de 1,5 dans les estimations précédentes.

La nouvelle estimation de l’écart de production se situe dans la partie basse des évaluations des organisations internationales. Le Haut Conseil la juge plus réaliste. En augmentant l’estimation du déficit structurel, elle révèle en tout cas la nécessité d’un effort accru pour redresser les finances publiques, à partir du moment où c’est la part structurelle qui est plus importante que la part conjoncturelle.

Les hypothèses de croissance potentielle du Gouvernement sont révisées à la baisse également pour les années 2017 à 2020 par rapport au programme de stabilité du mois d’avril 2017 : 1,25 % pour chacune des quatre années au lieu de taux compris entre 1,3 % et 1,5 %. Ce scénario se situe dans la moyenne des estimations disponibles. Le Haut Conseil considère qu’il constitue une base raisonnable pour asseoir la programmation des finances publiques à moyen terme.

J’en viens à présent à la deuxième mission prévue par la loi organique : l’appréciation des prévisions macroéconomiques associées au projet de loi de programmation pour la période de 2018 à 2022.

J’insisterai ici davantage sur le moyen terme. Je reviendrai plus précisément sur les années 2017 et 2018 dans la suite de mon intervention sur le PLF et le PLFSS pour 2018.

Le Gouvernement retient des taux de croissance du PIB peu différenciés sur toute la période, autour de 1,7 %. Par rapport aux projections de moyen terme présentées au mois d’avril dernier dans le programme de stabilité 2017-2020, les prévisions de croissance sont légèrement relevées pour 2017, à 1,7 % au lieu de 1,5 %, pour 2018, à 1,7 % au lieu de 1,5 %, et pour 2019, à 1,7 % au lieu de 1,6 %. La prévision est inchangée pour 2020, à 1,7 %.

Le Haut Conseil observe que le scénario de croissance du Gouvernement conduit à une fermeture de l’écart de production négatif à l’horizon 2020 puis à un écart de production positif et croissant en fin de période.

Compte tenu des tendances à l’œuvre, la croissance devrait en effet être supérieure à son rythme potentiel en 2017 et 2018, pour la première fois depuis 2011. L’écart de production est donc en voie de réduction. Sa fermeture totale au cours de la période de projection est vraisemblable en l’absence de nouvelle crise majeure. Le scénario de croissance du Gouvernement n’appelle donc pas d’observations à l’horizon de 2020.

En revanche, le passage à un écart de production positif en fin de période constitue une hypothèse plutôt optimiste. Même si on ne peut pas exclure qu’un tel scénario de croissance effective se réalise, il comporte un plus grand degré d’incertitude. L’hypothèse de croissance retenue dans le scénario pour les années 2021 et 2022, si elle est neutre sur la trajectoire de solde structurel présentée, conduit toutefois à réduire le déficit effectif affiché et à présenter une trajectoire de dette publique plus favorable.

J’en viens à la troisième mission du Haut Conseil : se prononcer sur la cohérence de la programmation avec l’objectif à moyen terme d’une part et les engagements européens de la France d’autre part.

Dans notre avis, nous présentons la nature de ces engagements européens. Ils résultent du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire de 2012, que j’évoquais en introduction, mais également du Pacte de stabilité et de croissance, ainsi que des règlements européens.

Je rappelle que la France est, après l’Espagne, le pays de la zone euro dont le déficit public est le plus élevé. Ces deux pays étaient les seuls de la zone euro à connaître encore en 2016 des déficits supérieurs à 3 % et sont depuis hier les deux seuls à demeurer dans la procédure de déficit excessif, la Grèce en étant sortie – ou sur le point d’en sortir.

À cet égard, la trajectoire présentée par le Gouvernement respecte la recommandation faite à la France depuis 2015 par le Conseil de l’Union européenne de ramener son déficit effectif au-dessous de 3 points du PIB en 2017.

Sous réserve, bien sûr, de l’appréciation de la Commission européenne et du Conseil, la France pourrait alors sortir de la procédure de déficit excessif en 2018 et entrer dans le volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance. Dans ce cadre, le déficit structurel, dont je vous ai parlé tout à l’heure, doit être réduit jusqu’à atteindre l’objectif de moyen terme, fixé à 0,4 point de PIB par le projet de loi de programmation.

Sur ce point, le Haut Conseil souligne que la trajectoire envisagée s’écarte des engagements européens de la France en retenant un ajustement structurel annuel inférieur à celui qui est prévu par les règles européennes. Le règlement européen n° 1466/97 prévoit en effet un ajustement structurel supérieur à 0,5 point de PIB par an pour les États membres qui n’ont pas atteint leur objectif à moyen terme et dont la dette est supérieure à 60 % du PIB. Or l’ajustement structurel n’est que de 0,3 point de PIB en moyenne entre 2018 et 2022 dans la trajectoire présentée par le Gouvernement. Il est même limité à 0,1 point en 2018. Une conséquence de cet effort limité est de repousser l’atteinte de l’objectif de moyen terme de solde structurel au-delà de l’horizon de la programmation.

Lorsqu’ils examinent la programmation d’un État membre, la Commission et le Conseil disposent toutefois de marges de flexibilité. Ils peuvent tenir compte de la mise en œuvre de réformes structurelles majeures ou de circonstances inhabituelles pour les autoriser à s’écarter temporairement de leur trajectoire d’ajustement. Le Haut Conseil ne saurait bien sûr préjuger de l’issue de cet examen.

J’en arrive désormais à notre second avis.

Comme chaque année en septembre, le Haut Conseil était également appelé à se prononcer sur les prévisions macroéconomiques associées au PLF et au PLFSS pour 2018 ainsi que sur la cohérence de ces projets avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

J’évoquerai tout d’abord les prévisions macroéconomiques.

Dans un contexte européen favorable, l’activité en France s’est sensiblement redressée au cours des trois derniers trimestres à la faveur d’une demande intérieure tirée par l’investissement des entreprises et les dépenses des ménages, et d’une contribution moins négative des échanges extérieurs à la croissance. De plus, les résultats des enquêtes de conjoncture, dont l’amélioration se poursuit, indiquent des perspectives d’activité favorables à court terme. Pour 2017, l’acquis de croissance au deuxième trimestre est de 1,4 %, si bien qu’une croissance de 0,4 % aux troisième et quatrième trimestres, après une croissance de 0,5 % sur les trois derniers trimestres, suffirait pour atteindre la prévision du Gouvernement à 1,7 %. En conséquence, le Haut Conseil considère que cette prévision est prudente.

Pour 2018, le scénario du Gouvernement repose sur le maintien de la dynamique actuelle de l’environnement international et sur une progression toujours soutenue de la demande intérieure. La prévision de 1,7 % est proche de celles des organisations internationales et du Consensus Forecasts. Le Haut Conseil considère que cette prévision est raisonnable.

En outre, le Haut Conseil estime que les prévisions d’emploi et de masse salariale du Gouvernement pour 2017 et 2018 sont prudentes, tandis que les prévisions d’inflation pour ces deux années sont raisonnables.

Au total, le Haut Conseil considère que le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement est prudent pour l’année 2017, et qu’il est raisonnable pour 2018.

J’en arrive à la cohérence des PLF et PLFSS avec les orientations pluriannuelles de solde structurel.

Dans l’attente de la promulgation de la loi de programmation portant sur les années 2018 à 2022, la loi de programmation pour la période 2014-2019 reste en vigueur.

Toutefois, l’appréciation de la cohérence avec la loi pour la période 2014-2019 a largement perdu de sa signification. Le Haut Conseil avait souligné en juin dernier, dans son avis sur le projet de loi de règlement pour 2016, que « la loi de programmation de 2014 ne fournissait plus un cadre pertinent pour une juste appréciation de la trajectoire des finances publiques » en raison notamment du caractère « peu vraisemblable » des hypothèses de PIB potentiel.

Au-delà, la cohérence de l’article liminaire du PLF avec les orientations pluriannuelles de solde structurel présentées dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour la période 2018-2022 est assurée par construction, puisque les deux projets ont été construits et sont présentés simultanément. Il serait surprenant qu’ils ne soient pas cohérents !

Je voudrais un instant insister sur l’ajustement et l’effort structurel en 2017 et 2018.

L’ajustement structurel, c’est-à-dire la variation du solde structurel, serait faible : 0,2 point en 2017 et 0,1 point en 2018. Il en est de même pour l’effort structurel – 0,1 puis 0,2 point de PIB. L’effort structurel représente la partie de l’ajustement structurel directement liée à un effort en dépense ou à des mesures nouvelles de prélèvements obligatoires. En 2018, il résulterait d’un effort sensible sur les dépenses, de 0,4 point de PIB, quasiment compensé par des mesures nouvelles de baisse de prélèvements obligatoires, représentant 0,3 point de PIB.

Comme je vous l’indiquais dans la présentation de l’avis relatif au projet de loi de programmation des finances publiques, le Haut Conseil constate que les ajustements structurels prévus pour 2017 et 2018 s’écartent des engagements européens de la France. Ces ajustements structurels seront soumis à la Commission et au Conseil, dont j’ai évoqué les marges de flexibilité dans l’appréciation il y a quelques instants.

Enfin, le Haut Conseil s’est attaché à identifier les risques qui affectent les prévisions de recettes et de dépenses pour 2017 et 2018 sur la base des informations dont il dispose.

À cet égard, permettez-moi une remarque préalable. Depuis l’audit des finances publiques de la Cour des comptes publié en juin dernier, un certain nombre d’informations nouvelles sont apparues. Le Haut Conseil prend naturellement en compte dans son appréciation l’ensemble de ces informations nouvelles. Elles concernent en particulier l’amélioration sensible de la conjoncture économique ainsi que les recettes fiscales effectivement constatées. En outre, l’actuel Gouvernement a pris au cours de l’été des mesures de correction en dépenses à la suite de cette publication.

Pour ce qui est des recettes fiscales, le Gouvernement a révisé à la hausse l’estimation de leur montant en 2017 par rapport au programme de stabilité d’avril, ce qui conduit à une élasticité de ces recettes au PIB de 1,3 pour 2017 contre 1 avant l’été. Les prélèvements sociaux, notamment, ont été revus à la hausse en lien avec un relèvement d’un demi-point de la prévision de masse salariale. Le Haut Conseil considère que, au vu des rentrées fiscales des derniers mois, les recettes tirées des prélèvements obligatoires en 2017 pourraient être supérieures à ce qui est attendu dans le PLF. Par exemple, les recettes de TVA, avec une croissance de plus de 5 % à champ constant sur les sept premiers mois de l’année, apparaissent plus dynamiques que prévu.

Pour l’année 2018, les mesures nouvelles représentent environ 7 milliards d’euros de baisses nettes des prélèvements obligatoires. Ces mesures correspondent à la somme des décisions prises par le précédent Gouvernement qui ont un effet en 2018 et de celles prises par l’actuel Gouvernement dans le PLF pour 2018 : l’accroissement du taux du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), la baisse de l’impôt sur les sociétés, l’exonération d’une fraction de la taxe d’habitation, la transformation de l’impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière notamment. Elles sont partiellement compensées par des hausses de fiscalité, parmi lesquelles l’accroissement de la fiscalité énergétique et celle du tabac, et par le calendrier 2018 de la bascule des cotisations salariales sur la contribution sociale généralisée (CSG).

Sous réserve des incertitudes portant sur le chiffrage des mesures nouvelles, le Haut Conseil estime que l’hypothèse d’élasticité des recettes au PIB retenue pour 2018
– supposée égale à 1 en 2018 après 1,2 en 2016 et 1,3 en 2017 – et, donc, la prévision des recettes tirées des prélèvements obligatoires sont prudentes.

Le Haut Conseil relève que les objectifs de maîtrise de la dépense pour 2018 sont plus exigeants que ceux des années précédentes : 1,6 % en valeur contre 1,8 % en 2017 et 0,5 % en volume contre 0,8 % l’année précédente.

Il note un effort de budgétisation plus réaliste sur le budget de l’État, notamment en ce qui concerne l’allocation aux adultes handicapés, la prime d’activité, l’hébergement d’urgence et l’aide médicale de l’État, même si restent encore quelques sous-budgétisations, relatives notamment aux opérations extérieures (OPEX) et aux apurements communautaires. Sur ces deux points, quoique plus réaliste qu’au cours des dernières années, la budgétisation n’est pas encore totalement réaliste.

Le Haut Conseil souligne toutefois que des risques significatifs pèsent sur la réalisation des économies prévues dans le champ des administrations publiques. C’est par exemple le cas pour les collectivités territoriales. Leurs dépenses, et plus largement celle des administrations publiques locales, décéléreraient de 1,8 % en valeur en 2017 à 1,2 % en 2018 sous l’effet de la mise en place de contrats passés entre les représentants de l’État et des plus grandes collectivités territoriales. Cet objectif repose sur un pari : celui que la démarche contractuelle conduira à un infléchissement substantiel des dépenses.

Des risques existent également dans le champ social. Le respect de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, fixé à 2,3 % dans le scénario du Gouvernement, nécessitera un quantum d’économies supérieur à ce qui a été réalisé au cours des dernières années.

Pour l’État, le Gouvernement fait reposer sa prévision sur des économies substantielles, en particulier sur les aides au logement ou sur les contrats aidés, qui méritent d’être concrétisées.

Au total, la prévision d’un déficit de 2,9 % du PIB en 2017 peut être considérée comme plausible tandis que celle d’un déficit de 2,6 % en 2018 est atteignable.

Je souhaite, pour conclure, souligner que dans la mesure où le niveau du déficit structurel pour 2018 est élevé et sa réduction prévue faible, il est tout à fait nécessaire, effectivement, de respecter les objectifs de maîtrise de la dépense, et ce même si les recettes venaient à être meilleures que prévu, ce qui ne doit pas être exclu. C’est l’intérêt de raisonner en termes structurels : il ne faut pas que l’amélioration de la conjoncture, qui a effectivement des effets positifs sur le solde effectif, fasse oublier les efforts nécessaires à la réduction du déficit structurel, d’autant que l’on sait que c’est un peu le problème de la France.

M. Gilles Carrez. Dans son édition de ce matin, le journal Les Échos indique avoir reçu dès hier l’avis du Haut Conseil et en fait une présentation détaillée. Jusqu’à présent, notre commission des finances était la première saisie. Je proteste ! Cela devient une habitude : notre commission découvre de plus en plus souvent les informations dans les journaux. Soit l’avis a été communiqué par le Haut Conseil, procédé que je réprouverais, soit c’est le fait du Gouvernement. Quoi qu’il en soit, c’est tout à fait anormal, et il me semble que c’est une première.

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Je me souviens que des membres de cette commission, qui en font toujours partie, accusaient sans preuves, il n’y a pas si longtemps, le Haut Conseil des finances publiques d’avoir été à l’origine d’indiscrétions sur de précédents avis. Cela avait suscité à la fois mon émotion et ma colère. Cela dit, l’avis est transmis à de nombreuses personnes. Nous avons tenu plusieurs réunions au cours des huit derniers jours. La dernière a duré de 16 heures vendredi dernier 22 septembre à 6 heures le lendemain matin, et a repris dimanche après-midi. Nous avons transmis nos avis au Conseil d’État, au Gouvernement et aux différentes administrations. Le nombre de destinataires est tel que vous pouvez comprendre que des indiscrétions ont pu être commises.

Mme Valérie Rabault. Je soutiens notre ancien président Gilles Carrez, et je souhaite, monsieur le président du Haut Conseil des finances publiques, que vous puissiez répondre à sa question : oui ou non, l’avez-vous transmis aux Échos ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Non.

M. le président Éric Woerth. Si nous faisons la chasse aux fuites, chers collègues, nous allons y passer beaucoup de temps, car l’ensemble du projet de loi de finances a fuité dans Les Échos, Le Figaro et je ne sais quels autres journaux. J’ai cru comprendre que ce n’était pas nouveau, et nous découvrirons tout à l’heure un projet de loi de finances dont nous avons déjà connaissance par la presse.

M. Joël Giraud, rapporteur général. Monsieur, le président du Haut Conseil, je tiens en premier lieu à vous remercier de contribuer à l’éclairage de nos débats sur le projet de loi de finances, afin qu’ils ne soient pas biaisés. À ce titre, les avis du Haut Conseil sont pour nous primordiaux.

Ma première question est quasiment une question de sémantique, qui porte sur votre appréciation de la prévision de croissance. Vous qualifiiez l’an dernier d’ « optimiste » une prévision de croissance de 1,5 % du PIB pour 2017 ; elle devrait finalement s’élever à 1,7 % prévision que vous jugez cette fois-ci « prudente ». Pour 2018, vous considérez que la prévision est « raisonnable ». Pouvez-vous confirmer qu’il s’agit de l’appréciation la plus laudative que le Haut Conseil ait eu à délivrer sur une prévision de croissance de l’année sur laquelle porte un PLF ? Si tel est le cas, cela doit nous rassurer, car le Haut Conseil n’est pas connu pour être une institution faisant preuve d’un indéfectible optimisme.

Ma deuxième question m’est suggérée par votre double casquette de président du Haut Conseil et de Premier président de la Cour des comptes ; elle porte sur la prévision de déficit public pour 2017 et pour 2018 puisque, contrairement aux années précédentes, vous ne vous êtes pas prononcé officiellement sur ce point.

Il y a un an, le Haut Conseil des finances publiques avait rendu un avis qui jugeait « incertain » le retour du déficit sous les 3 % et « improbable » l’atteinte de l’objectif de la loi de finances. Cet été, auditionné en tant que Premier président de la Cour des comptes par notre commission, vous estimiez que le déficit public pour 2017 devrait s’élever à 3,2 % du PIB. J’aimerais connaître en ce début d’automne votre appréciation sur la prévision actualisée de déficit public pour 2017, qui est de 2,9 % du PIB, et m’assurer de la sorte que le président du Haut Conseil n’a pas un avis différent de celui du Premier président de la Cour des comptes.

Ma troisième question, quant à elle, porte sur les recettes. À l’inverse du rythme normal des saisons, il semble que la météo budgétaire se soit nettement améliorée depuis cet été. Vous estimez que les recettes pour 2017 pourraient être supérieures à ce qui est prévu par la loi de finances initiale. La TVA notamment rentre dans les caisses à un rythme très appréciable, supérieur de plus de 5 % à celui de l’année dernière. On peut regretter que l’audit de la Cour des comptes de l’été dernier n’en ait pas tenu compte. Il était même pointé, en page 52, « un risque de surestimation de la TVA ». Cela étant, comment interprétez-vous ces surcroîts de recettes ? Pensez-vous que des surcroîts similaires pourraient être constatés sur les cotisations sociales, compte tenu de la reprise de l’activité ?

M. Jean-René Cazeneuve. Afin de respecter la trajectoire de réduction de 3 points de PIB sur cinq ans de notre dépense publique, notre majorité prévoit de limiter la croissance des dépenses de fonctionnement des 319 plus grandes collectivités à 1,2 % au cours des cinq prochaines années. Ce ralentissement doit conduire à améliorer les capacités d’autofinancement des collectivités locales et contribuer à leur désendettement.

Vous parlez d’un pari, d’un risque ; nous pensons, nous, que c’est une mesure nécessaire car, depuis 2014, les dépenses d’investissement des collectivités ont lourdement chuté alors que les dépenses de fonctionnement ont été difficilement contenues. Afin de renouer avec un cercle vertueux pour nos territoires et la commande publique, l’État maintiendra en 2018, 1,7 milliard d’euros de subventions d’investissement aux collectivités, ce qui n’est pas négligeable.

Pensez-vous qu’il existe une marge de manœuvre qui permettrait d’améliorer le ratio investissement/fonctionnement dans le futur ? Il s’agit en effet de faire preuve de discernement dans la politique d’investissements, puisque certains d’entre eux peuvent également engendrer des dépenses de fonctionnement.

Pensez-vous qu’une loi de finances propre aux collectivités locales permettrait d’assurer une programmation et un suivi plus efficace de leurs dépenses d’investissement et de fonctionnement ?

Mme Véronique Louwagie. En premier lieu, je tiens à m’associer aux propos de Gilles Carrez et de Valérie Rabault sur le fait que certains médias ont été destinataires avant les membres de la commission des finances des conclusions du Haut Conseil. C’est non seulement désagréable mais cela contribue à un affaiblissement du Parlement. Je suggère donc, monsieur le président, que vous adressiez un courrier au ministre pour lui faire part de notre mécontentement.

Ma première question portera sur la programmation des finances publiques. Vous donnez l’alerte sur les conséquences découlant de l’hypothèse de croissance avancée par le Gouvernement. Si vous jugez l’estimation intermédiaire réaliste et susceptible de fournir une base de programmation raisonnable, vous indiquez en revanche que l’hypothèse d’un écart de production positif et croissant en fin de période – c’est-à-dire après 2020 – est plutôt optimiste. Cette hypothèse conduit, selon vous, à améliorer la trajectoire de la dette publique. Quel serait selon vous l’impact sur la dette publique d’une fermeture de cet écart de production après 2020, en lieu et place d’un écart positif de 1,1 % en 2022 ?

Vous jugez les prévisions de croissance pour 2017 et 2018 prudentes et raisonnables, mais vous soulignez qu’elles ne sont pas conformes aux règles européennes, qui prévoient un ajustement structurel supérieur à 0,5 point de PIB par an. Selon vous, aurait-il été possible de proposer pour 2018 un ajustement structurel plus important que l’ajustement structurel retenu, lequel nous oblige à repousser notre objectif de moyen terme jusqu’en 2023 ?

Vous indiquez que des « risques significatifs » pèsent sur la réalisation des économies prévues dans le champ des administrations publiques. Un risque, c’est déjà important ; s’il est significatif, doit-on considérer que nous nous engageons dans une voie à l’issue plus qu’incertaine ?

Enfin, ma dernière question porte sur les dépenses des collectivités territoriales et plus largement sur celles des administrations publiques locales. Au sujet de leur décélération de 1,8 % en valeur en 2017 à 1,2 % en 2018, vous employez le terme de pari. Si je ne connaissais pas le sérieux et les qualités d’expertise du Haut Conseil, je penserais que vous êtes joueur. Mais je sais que ce n’est pas le cas. Or un pari, c’est une spéculation sur l’éventualité de tel ou tel événement. Est-ce à dire que vous avez un doute sérieux sur les résultats attendus de la contractualisation entre l’État et certaines collectivités ?

M. Mohamed Laqhila. La sincérité du budget de l’État est devenue un débat politique, parfois houleux, malgré toutes les structures indépendantes qui sont censées le contrôler.

L’an dernier, vous rappeliez le caractère trop optimiste des prévisions budgétaires. Aujourd’hui, le Gouvernement présente un projet de loi de finances qui semble plus réaliste que les précédents. C’est primordial car la transparence et la sincérité de nos comptes sont les seuls moyens de restaurer la confiance dans notre économie.

Pouvez-vous nous assurer que le Haut Conseil juge atteignable l’objectif de passer le déficit sous les 3 % du PIB ? Pour cela, le Gouvernement table sur une accélération des rentrées fiscales et des cotisations. Estimez-vous que cela soit suffisant ?

Enfin, les économies de fonctionnement prévues reposant pour une part essentielle sur l’effort des collectivités locales, estimez-vous que l’État est en mesure de réduire le déficit structurel ainsi que la dette ?

M. Charles de Courson. Les travaux du Haut Conseil mettent en lumière, si besoin était, que l’on a volontairement, ces dernières années, surestimé l’écart de production, et que la majorité précédente a délibérément minoré le solde structurel, pour faire croire qu’elle redressait les finances publiques. Or vos analyses montrent que le déficit structurel ne se redressait pas.

Tout en recommandant de manier le concept d’écart de production avec précaution, dans la mesure où les spécialistes divergent sur son estimation, le Haut Conseil émet des doutes sur les prévisions gouvernementales, qui tablent sur une annulation, puis une inversion, de l’écart. En effet, l’estimation du PIB potentiel faite par le Gouvernement semble négliger un petit détail : ce n’est pas tout de disposer de facteurs de production ; encore faut-il qu’ils soient capables de produire des biens adaptés au marché, dans des conditions de rentabilité. Puisque vous expliquez par ailleurs que l’inversion de l’écart de production se produit à chaque cycle, ce qui n’est pas le cas dans les chiffres de ces dix dernières années, doit-on en tirer la conclusion que ces chiffres étaient erronés ? Enfin, pourriez-vous nous préciser sur quoi s’appuient vos doutes concernant l’apparition d’un écart positif après 2020 ?

Vous rappelez que nos engagements internationaux nous obligent à réduire de 0,5 point par an notre déficit structurel, ce dont, comme sous le quinquennat précédent, nous sommes très loin, puisque le Gouvernement prévoit une baisse de 0,1 ou 0,2 pour l’an prochain et que les baisses prévues pour les années qui suivent n’atteignent jamais 0,5 point. Comment pensez-vous que va réagir la Commission européenne ?

Concernant enfin les recettes et la fiscalité, le Haut Conseil affirme ne pas être en mesure de se prononcer sur le chiffrage des recettes. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi, alors que l’on sait par exemple que la fiscalité sur le tabac n’engendrera pas de recettes supplémentaires mais, au contraire une baisse ?

Sur la véracité et l’effort de sincérité, vous pointez deux cas de sous-budgétisation : d’une part les OPEX, dont le budget a été augmenté de 200 millions d’euros alors qu’il en faudrait 350 à 450 millions pour parvenir à une somme avoisinant le milliard d’euros nécessaire ; d’autre part, les apurements communautaires, dont j’aimerais que vous nous rappeliez le montant.

Mme Valérie Rabault. Vous interroger sur l’avis du Haut Conseil, alors que nous ne disposons pas encore du projet de loi de finances ni du projet de loi de programmation pluriannuelle, est un exercice assez baroque. En révisant le scénario de croissance potentielle des années précédentes, le Gouvernement a fait le choix de considérer que toutes les difficultés économiques de notre pays étaient d’ordre structurel. Pour autant, les corrections envisagées sont très en deçà de ce qui est exigé par la Commission européenne. Dans la mesure où vous affirmez que les prévisions du Gouvernement sont proches de celles de la Commission européenne, diriez-vous, comme lui, que nos difficultés sont avant tout structurelles ?

En ce qui concerne les dépenses, vous recommandiez, coiffé de votre casquette de Premier président de la Cour des comptes, d’arrêter de faire des prévisions de dépenses par rapport à la tendance. Or nous ne sommes ici que dans la tendance ! Le Haut Conseil doute d’ailleurs de la réalisation de l’objectif de réduction de 16 milliards d’euros, dont nous n’avons pas le détail. Selon vous, dans quel domaine en particulier cet objectif pourrait ne pas être atteint ?

Dans votre avis sur le projet de loi de programmation pluriannuelle, vous constatez que la dépense publique augmenterait en moyenne de 1,8 % par an en valeur sur la période 2018-2020, ce qui est un rythme supérieur à celui des années 2014-2016, où elle a augmenté en moyenne de 1 % par an. Vous reconnaissez donc que le freinage des dépenses publiques a été extrêmement important sur les années 2014-2016, puisque l’augmentation a été quasiment deux fois moindre que celle envisagée pour la période 2018-2022.

Quant aux recettes, vous reconnaissez qu’elles ont été plus importantes que ce qui était envisagé. Je regrette que cela n’ait pas figuré dans le dernier rapport de la Cour des comptes, mais je suis ravie que vous le disiez aujourd’hui.

M. Jean-Paul Dufrègne. Il n’y a rien de nouveau dans cet avis du Haut Conseil, si ce n’est une énième piqûre de rappel. On y retrouve les préconisations habituelles sur la nécessité de davantage de rigueur et d’un « effort accru ». Mais pour qui ? Certainement pas pour les 320 000 ménages qui paient l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et s’apprêtent à recevoir un cadeau. C’est bien le sens de vos préconisations, qui dispensent les riches de tout effort, mais passent plutôt par une forte baisse des aides au logement, la suppression brutale des contrats aidés ou encore une mise sous tutelle des collectivités, notamment des communes, qui voient leurs principales recettes dynamiques encadrées. Nous n’approuvons donc pas ces mauvais conseils, qui vont encore creuser les inégalités dans notre pays. Tout le monde aux ordres ! Circulez, il n’y a rien à voir !

M. le président Éric Woerth. Si je résume vos conclusions, monsieur le président du Haut Conseil, vous soulignez qu’un effort est fait pour mettre un terme aux sous-budgétisations systématiques, ce qui est une bonne chose.

Vous indiquez également que les prévisions macroéconomiques sont crédibles, et que le Gouvernement a donc fait un effort de sincérité.

Vous insistez sur deux points majeurs, au premier rang desquels les incertitudes croissantes concernant les dépenses. Je m’associe à la question qui vous a été posée au sujet des 16 milliards d’euros de réduction de dépenses, sur lesquels les ministres ont largement communiqué dans la presse. Ce montant n’est pas repris dans l’avis du Haut Conseil, sans doute parce que ce n’est précisément que de la communication. Qu’en est-il réellement et avez-vous une opinion sur ce sujet ?

Vous pointez d’autre part la faiblesse de l’ajustement structurel de 0,1 point l’an prochain. Quelles conclusions peut-on en tirer, sinon le fait que nous ne respecterons pas nos engagements européens et que nous n’atteindrons pas nos objectifs de moyen terme ? Qu’en déduire sur notre capacité à réduire notre déficit ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Certaines de vos questions s’adressent davantage au Gouvernement qu’au Haut Conseil des finances publiques. D’ailleurs, monsieur Dufrègne, nous ne délivrons pas de préconisations en tant que telles, mais raisonnons à partir des engagements pris par les pouvoirs publics, au travers des traités et des règlements européens, qui s’imposent à la France, ou dans le cadre des lois de programmation ou des lois de finances ; nous sommes en démocratie, et vous les avez donc approuvés.

Le Haut Conseil ne préconise donc nullement d’accroître les mesures de rigueur, mais rappelle que, si la majorité veut respecter les engagements pris, il faudra être exigeant sur le respect de la trajectoire. Pour les orientations que cette dernière implique ou pour son rythme, cela relève du pouvoir politique, et il n’appartient ni au Haut Conseil ni à la Cour des comptes d’en décider.

Monsieur le rapporteur général, j’ignore s’il s’agit de l’appréciation la plus laudative jamais délivrée par le Haut Conseil, car nous ne raisonnons pas en ces termes. La question n’est pas de savoir si notre avis va plaire et si nos remarques sont des compliments
– ce n’est d’ailleurs pas la première fois que nous estimons des hypothèses plausibles ou prudentes. Nous raisonnons à partir de données qui nous sont fournies par le Gouvernement et les administrations, données que nous confrontons aux analyses d’autres observateurs de la vie économique et resituons dans l’environnement européen et international.

Je vous rassure par ailleurs : il n’y a aucun problème de cohérence entre le président du Haut Conseil et le Premier président de la Cour des comptes. Il faut toujours garder à l’esprit le moment dans lequel une institution ou une juridiction s’exprime, et il est toujours plus facile de raisonner avec six ou douze mois de recul.

La plupart des conjoncturistes estimaient en septembre 2016 que les hypothèses du Gouvernement étaient plutôt optimistes. S’ils avaient suivi l’ensemble des conjoncturistes, le Haut Conseil, lors de son examen du programme de stabilité, et la Cour des comptes dans le cadre de son audit auraient, eux aussi, considéré ces hypothèses comme optimistes. Or nous les avons qualifiées de plausibles. On ne pouvait évidemment pas exclure le fait que l’une d’entre elles ne se réalise pas, mais nous avons écarté cette probabilité et validé ces hypothèses. La Cour a estimé que le véritable problème de nos finances publiques n’était pas un problème de recettes mais un problème de dépenses. Tout ce que nous avons dit à l’époque reste pertinent et se trouve d’ailleurs confirmé par le projet de loi de finances pour 2018. On ne peut donc parler de divergence dans nos observations.

D’ailleurs, l’ensemble des conjoncturistes ont aujourd’hui révisé leurs prévisions à la hausse, car certains risques ont disparu, ceux notamment attachés au Brexit, dont les économistes avaient surestimé les conséquences sur l’année 2017. Cela ne signifie pas que, marginalement ces conséquences ne pourront pas se faire sentir en 2018 sur les économies européennes mais, à l’instar d’autres difficultés conjoncturelles, les risques majeurs ont été écartés.

L’appréciation que nous portons sur l’estimation des recettes pour 2018 est donc positive. Nous pensons même que ces recettes peuvent être supérieures à celles prévues par le projet de loi de finances pour 2018. Il peut y avoir de bonnes surprises.

Il est vraisemblable que l’élasticité de ces recettes sera de 1,3 pour 2017 – ce qui est rare –, après 1,2 en 2016. Pourtant, si le Gouvernement précédent avait tablé sur une élasticité de 1,3 pour cette année, tout le monde aurait légitimement estimé que c’était une prévision beaucoup trop optimiste. Il s’agit de paramètres qui se constatent a posteriori. S’il vaut mieux de bonnes que de mauvaises nouvelles, ce surcroît de recettes ne doit néanmoins pas dispenser de continuer de faire des efforts en matière de dépenses, à moins de compromettre toute amélioration structurelle.

Mais est-ce que tout le déficit est structurel ? Non. D’ailleurs, dans la nouvelle estimation du Gouvernement, nous ne trouvons pas cette croyance que tout serait structurel.

En 2016, le déficit structurel est passé de 1,5 % à 2,5 %, mais sur un déficit total de 3,4 %. Tout n’est donc pas structurel ; la conjoncture joue aussi son rôle. Le Gouvernement nous paraît avoir une estimation réaliste. En tout cas, elle est plus conforme à l’ensemble des hypothèses qui sont retenues par les organisations internationales de ce point de vue-là, alors que de vraies divergences existaient au sujet de l’écart de production entre les chiffres de la France et ceux de pratiquement tous ces organismes, voire de beaucoup d’instituts de conjoncture.

Ce n’est pas le rôle du Haut Conseil que d’exprimer un avis sur chacune des hypothèses de recettes présentées par le Gouvernement. Il n’en a ni les moyens, ni le temps et ce n’est pas ce qui lui est demandé. Vous interrogerez tout à l’heure le ministre sur le sérieux des hypothèses qui sont les siennes. Quant à nous, nous n’avons pu entrer dans le calcul de nouvelles estimations, surtout lorsqu’il s’agit de nouvelles recettes. Il y a toujours un élément d’appréciation de la part des services.

J’en viens à la dépense. Mme Rabault a raison si l’on raisonne en termes de valeur, mais la trajectoire de maîtrise de la dépense – si l’on raisonne en termes de volume – est sans doute un peu plus exigeante pour l’avenir qu’elle ne l’était par le passé. Si l’on veut respecter l’ensemble des équilibres, cela nécessite de respecter scrupuleusement cette trajectoire exigeante.

Nous considérons que de nombreux risques existent, à travers les collectivités territoriales, à travers les économies réalisées sur le budget de l’État, à travers un quantum plus important d’économies à réaliser dans le budget de la sécurité sociale. Cela doit être concrétisé, mais la question se pose de savoir si tous ces efforts pourront vraiment l’être. Le Gouvernement aura à apporter la preuve que ces engagements pourront être tenus dans l’année.

Nous ajoutons un codicille, en attirant l’attention sur le fait que de bonnes recettes ne doivent pas conduire à se dispenser du respect de la trajectoire de dépenses, pour améliorer le solde structurel. L’ajustement structurel, tel qu’il est présenté, ne correspond pas, formellement, aux engagements de la France, à savoir 0,5 point de PIB. Monsieur de Courson, ces engagements ont été respectés en 2011, en 2012 et en 2013, et même au-delà, mais grâce à des recettes plus importantes. Il est certes plus difficile de tenir cet engagement en agissant sur les dépenses qu’en augmentant le niveau des recettes et des prélèvements obligatoires.

Tel est notre constat. Notre mission est d’apprécier la cohérence des chiffres vis-à-vis des engagements européens de la France. Mais la Commission et le Conseil de l’Union européenne peuvent avoir leur propre marge d’appréciation. Je ne peux vous répondre pour la Commission et pour le Gouvernement, auxquels il appartient de dialoguer. Comme je le disais dans cette enceinte, avec le Haut Conseil et avec la Cour des comptes, vous ne pouvez pas passer de compromis, car nous raisonnons à partir de textes et d’engagements pris. Entre deux autorités politiques, par exemple un gouvernement national et la Commission, les choses sont différentes, vous pouvez passer des compromis, il y a toujours une marge d’appréciation. La réponse ne peut cependant être que politique.

Quant à l’hypothèse d’un écart de production positif en fin de période, il est toujours possible de la faire. Ce peut être l’objet d’un grand débat entre économistes. Le Haut Conseil estime cependant que cette hypothèse serait plutôt optimiste. Elle repose sur le raisonnement qui veut, qu’à moyen terme, les hypothèses soient généralement établies à partir des contraintes d’offre, et non de demande, la dynamique des éléments de demande étant plus difficilement prévisible à cet horizon. Honnêtement, au-delà de 2020 ou 2021, personne n’en sait rien ; nous entrons dans un débat entre économistes.

Cela peut cependant avoir des conséquences. Le Gouvernement fait l’hypothèse que, après la fermeture de l’écart de production, la demande sera plus dynamique que l’offre. Si cette hypothèse est neutre pour le calcul du déficit structurel, ce n’est pas vrai pour le déficit effectif. L’écart est de 0,6 point dans le sens favorable. Il en va de même pour la trajectoire de la dette publique, dont l’évolution est présentée sous un jour plus favorable, de l’ordre de 1 à 1,5 point.

Mme Bénédicte Peyrol. Monsieur le président du Haut Conseil, vous étiez venu nous voir en juillet, en votre qualité de Premier président de la Cour des comptes, pour nous présenter votre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Dans ce rapport, il était pointé le détournement de la réserve de précaution. En principe destinée à faire face à des aléas de gestion, elle avait vu son usage détourné pour faire face à des sous-budgétisations. Aujourd’hui, nous voyons la volonté du Gouvernement de rebudgétiser ce qui avait été sous-budgétisé, ce qui témoigne d’une volonté de sincérité.

Vous parlez de la maîtrise des dépenses. Cette réserve en est un outil. Un plancher est fixé dans la loi. Auriez-vous une recommandation, quant à la fourchette de taux, pour que cette maîtrise des dépenses soit effective ?

M. Patrick Hetzel. Je n’aborderai qu’un point, celui du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Dans votre analyse, vous soulignez que « des risques significatifs existent sur la réalisation des économies prévues dans le champ des administrations publiques ». Pouvez-vous nous détailler les risques précisément identifiés par vous, quelle est leur nature ? Sur cette base, nous pourrons interroger les ministres tout à l’heure.

Mme Amélie de Montchalin. Nous vous avions reçu ici pour votre première audition, pendant laquelle nous avions échangé sur le manque de sincérité de la budgétisation de l’exercice 2017, le soi-disant « volontarisme politique » des prévisions macroéconomiques qui ont prévalu depuis des années, et d’un certain irréalisme sur l’estimation de l’écart de production.

Nouvelle majorité, nous souhaitons conduire un exercice sincère et sérieux sur l’ensemble du quinquennat. Nous souhaitons ne pas avoir un recours excessif à la réserve de précaution afin de garantir une exécution budgétaire non polluée par de la régulation budgétaire permanente. Nous souhaitons être lucides sur nos perspectives de croissance et d’inflation. Nous souhaitons surtout être réalistes quant à l’écart de production et donc à l’ampleur des réformes structurelles à mener, en s’appuyant sur un environnement conjoncturel solide, qui soutient ces réformes, au lieu de croire qu’il les rendrait accessoires.

J’en viens à ma question. Nous voulons être moteurs d’une certaine rupture. Retrouvez-vous, dans les documents qui vous ont été transmis, ces éléments de rupture, à la fois dans le pilotage et dans la philosophie budgétaire ?

M. Jean-Noël Barrot. Je rejoins les réflexions de mes collègues, pour me féliciter de la sincérité des hypothèses du projet de loi de finances. Elle tranche avec l’insincérité soulignée lors de votre dernier passage devant notre commission.

Je voudrais revenir moi aussi sur la question de la qualité des prévisions. L’année dernière, la prévision de 1,5 % du PIB était jugée un peu élevée, car elle était supérieure aux prévisions du moment, tandis que celle de 1,7 % est cette année jugée prudente. Lorsque l’on fait des estimations et des prévisions, l’on y ajoute en général un écart-type, en tout cas une marge d’erreur. Peut-on savoir quelle est la marge d’erreur de ces prévisions ? Est-on dans une zone de risque ? Plus généralement, pouvez-vous nous donner une idée de l’écart constaté entre ces précédentes prévisions macroéconomiques et ce qui s’est réellement produit ?

Mme Marie-Christine Dalloz. S’agissant tout d’abord de l’ajustement structurel et de l’avis du Haut Conseil relatif au projet de loi de programmation des finances publiques, vous nous dites qu’il appartiendra au Gouvernement d’aller négocier avec la Commission européenne. Mais nous devons réduire de 0,5 point et nous ne sommes qu’à 0,1 point, alors même que nous nous trouvons dans une conjoncture économique favorable. Voilà où est le vrai delta, le vrai danger qui pèse sur la loi de programmation des finances publiques.

S’agissant ensuite du projet de loi de finances, je parlerai d’abord des recettes. Vous nous dites que leur élasticité s’établit à 1,3, selon toute probabilité. Je l’entends, mais suis quant à moi inquiète. Alors que la consommation des ménages et des administrations publiques est étale, voire en régression par rapport aux années antérieures, je vois mal comment les recettes de TVA pourraient augmenter. Je ne comprends pas cette augmentation significative, alors que la consommation est atone.

Quant aux dépenses, le tendanciel national aurait conduit à 36 milliards d’euros d’augmentation de la dépense, sans la correction annoncée. Du fait que des économies sont annoncées pour 16 milliards d’euros, les dépenses n’augmentent cependant que de 20 milliards d’euros. Cela correspond à une augmentation de 1,6 % sur la masse des dépenses. Voilà ce qui explique le dérapage constaté du déficit global, non en taux, mais en masse. Voilà, n’est-ce pas, ce que vous entendez par « risque significatif existant ».

Mme Christine Pires Beaune. J’aborderai quatre points, qui ne concernent que l’avis sur le projet de loi de finances et le pro.

Premièrement, le 5 juillet 2017, vous dénonciez devant nous des « sous-budgétisations structurelles », notamment pour les ministères des finances et de l’agriculture. Même s’il y a du mieux, je constate, comme vous, en 2018, des sous-budgétisations, qui conduiront inéluctablement à des décrets d’avance. Or la réserve baisse de 8 % à 3 %.

Deuxièmement, vous soulignez le ralentissement prévu de l’emploi marchand en 2018. Mais dans votre analyse des perspectives de l’UNEDIC, vous prévoyez un niveau de chômage identique pour 2018. Est-ce à dire que les ordonnances modifiant le code du travail n’auront aucune conséquence en 2018 sur l’évolution du taux de chômage ?

Troisièmement, la mécanique de la réforme de la taxe d’habitation semble claire, mais elle pose tout de même beaucoup de questions, au-delà de la perte d’autonomie fiscale pour les collectivités, du fait d’un risque d’appauvrissement du lien entre le citoyen et sa commune. Que pensez-vous, par exemple, de l’idée d’instaurer un ticket modérateur ?

Quatrièmement, j’en viens au pari sur la démarche contractuelle et aux risques significatifs que vous dénoncez, s’agissant de la réalisation des économies. La démarche contractuelle me semble pertinente, mais une vraie démarche contractuelle est fondée sur des engagements de part et d’autre. Or, à ce stade, nous ne connaissons pas les contreparties prévues. Je reste donc, comme ma collègue Véronique Louwagie, inquiète sur les conséquences de ces contractualisations sur le niveau de la dépense publique.

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Certaines des questions posées ne sont pas de celles auxquelles il m’appartient de répondre. Ainsi en est-il de la question sur l’autonomie fiscale. C’est une question à poser au Gouvernement, car nous entrons ici dans le débat politique.

D’autres questions relèvent aussi plutôt du Premier président de la Cour des comptes ; or ce n’est pas en cette qualité que je parle ici devant vous ce matin. Il reste encore à la Cour des comptes à se prononcer sur le budget pour 2018. Elle ne pourra le faire que dans le cadre de son rapport sur les perspectives des finances publiques en 2018. Elle apportera un certain nombre d’éléments là-dessus. Je ne suis donc pas en mesure de répondre avec précision à certaines questions.

De même, la réserve relève d’un arbitrage du Gouvernement. Nous n’avons pas parlé de détournement à son sujet, mais seulement observé que, selon la loi organique relative aux lois de finances, la réserve est destinée à faire face à des aléas ou à des imprévus. Or elle était devenue une réserve tenant compte d’un certain nombre de sous-budgétisations qui ont eu tendance à augmenter, au fil du temps. Tel est le constat que nous faisions. Aujourd’hui, il reste encore des sous-budgétisations, mais elles sont moins importantes dans le projet de loi de finances pour 2018 que dans celui de l’an dernier. Même sur les apurements communautaires et sur les OPEX, quoiqu’il ne faille pas exclure encore des sous-budgétisations, il y a cependant un affichage de crédits plus important que dans le projet de loi de finances pour 2017.

Nous n’avons pas non plus à apprécier la sincérité budgétaire. Jamais la Cour des comptes n’a d’ailleurs remis en cause la sincérité de la loi de finances. Nous avons seulement dit qu’il pouvait y avoir des biais de construction qui pouvaient affecter la sincérité en certaines circonstances. Devant la commission des affaires sociales, j’exposerai tout à l’heure les biais de construction qui affectent la sincérité de l’ONDAM. Nous avons à apprécier le réalisme des projections.

S’agissant des marges d’erreur, nous savons que l’économie n’est pas une science exacte. En période normale – à supposer qu’on puisse donner une définition de ce terme –, je dirais que cette marge avoisine 0,5 point. Mais il n’en va pas de même en période de retournement. Ainsi, en 1993, puis en 2009, l’écart s’est relevé beaucoup plus grand, s’élevant à 2 à 3 points de produit intérieur brut, d’ailleurs dans un sens défavorable.

Cela dit, un écart est aussi possible dans l’autre sens, comme une sous-estimation des recettes. Souvenons-nous de la fameuse « cagnotte » et du débat, en 1999 et 2000, quand la croissance avait été fortement sous-estimée. Il faut pouvoir l’apprécier. Le passé doit nous permettre d’être plus prudent et de faire des prévisions plus ajustées. Bien sûr, plus l’année passe, plus l’on est en mesure de conforter un certain nombre de prévisions.

Dans le projet de loi de finances pour 2018, les prévisions nous paraissent tout à fait prudentes ou réalistes, y compris sur la TVA, car il y a des effets prix et des effets de structure. Le ministre pourra vous répondre sur ce point.

S’agissant de l’emploi, le Gouvernement anticipe un ralentissement des créations d’emploi en 2018, car des dispositifs de soutien disparaîtront, tels le CICE, le pacte de responsabilité ou encore les embauches PME. Là aussi, les hypothèses nous paraissent plutôt prudentes et réalistes.

M. Éric Alauzet. Je me réjouis du changement de doctrine au sujet de la ventilation des déficits structurel et conjoncturel. Nous avons eu souvent ce débat ici, et il trouve enfin une concrétisation cette année. Je suis satisfait, car il ne s’agit pas d’une querelle d’école ou d’une question d’appréciation. Au contraire, les conséquences sont très concrètes. D’une part, cela engage notre regard sur la nature, le diagnostic et l’analyse de ces déficits. D’autre part, cela indique des solutions différentes. Car, si l’essentiel du déficit est d’origine conjoncturelle, il suffit d’attendre un retour de conjoncture. Mais si les deux tiers en sont d’origine structurelle, cela change tout. Quoi qu’il en soit, nous devons faire ce travail d’approfondissement et d’analyse.

De ce fait, cela doit-il changer notre regard sur le passé, c’est-à-dire sur la nature de ce qui a été fait en matière de réduction du déficit structurel, l’effort étant peut-être moins important qu’on ne l’a cru ? À l’inverse, pour l’avenir, les efforts à fournir seront sans doute plus importants, car il est plus difficile de réduire le déficit structurel que le déficit conjoncturel.

M. Jacques Marilossian. Quand les experts parlent de déficit public, ils se réfèrent toujours à un chiffre de 3 % du PIB. Mais, moi, je ne sais pas ce que c’est que le PIB ! Je sais mieux ce qu’est un budget, où dépenses et recettes se font face.

En 2017, le projet de loi de finances prévoyait 307 milliards d’euros de recettes et 382 milliards d’euros de dépenses. À mes collègues qui cherchent à nous donner des leçons, je voudrais rappeler qu’en 2006-2007, ces mêmes dépenses étaient proches de 300 milliards d’euros. Elles ont atteint 383 milliards d’euros, soit plus qu’aujourd’hui, dès 2010, année où le déficit s’est établi à 110 milliards d’euros, suite à des baisses d’impôt. Revenons au présent, ces 70 milliards de déficit représentent 25 % de déficit par rapport aux recettes. Pour un Français qui gagne 1 600 euros, cela représente 2 000 euros de dépenses, soit 400 euros de plus que son salaire mensuel. Et 11 % de ces dépenses sont affectés au seul service et remboursement de la dette !

Dans votre avis, vous évoquez avec diplomatie la « forte dynamique de certaines dépenses sur les années à venir, comme sur la charge de la dette ou sur la défense, imposera un effort accru sur d’autres postes ».

En 2017, les cinq postes les plus importants, c’est-à-dire la défense, l’enseignement, la recherche, la charge de la dette et les transferts aux collectivités, représentent à eux seuls 200 milliards d’euros, soit 52 % des dépenses. Par ailleurs, sur les trente et une missions du budget général, vingt ont des dépenses inférieures à 5 milliards d’euros.

Qu’appelez-vous donc un « effort accru » ? Est-ce un rabot général ou des mesures très ciblées, et sur quelles missions ? Vous paraît-il vraiment réaliste de conduire une trajectoire vers un déficit nul du budget général de l’État, à un horizon 2022 ou 2025, en se fondant uniquement sur la réduction des dépenses ?

M. Jean-Louis Bricout. Je vous remercie, monsieur le président du Haut Conseil, de votre analyse, qui vous pousse à annoncer une bonne nouvelle, celle de la hausse des recettes en 2017. Pour autant, pourriez-vous qualifier d’insincère cette prévision de recettes pour 2017 ?

Je comprends aussi, en vous écoutant, qu’il y a, selon vous, des risques significatifs sur les objectifs à atteindre en matière d’économies sur les dépenses dans le champ des administrations publiques. Vous soulignez d’abord, globalement, un effort historique, en rappelant quelques chiffres sur ce qui a été consenti : entre 2000 et 2008, la progression des dépenses était de l’ordre de 2,2 % ; entre 2011 et 2016, de l’ordre de 0,8 à 0,9 % ; en 2018, l’on passe à 0,5 %, soit un effort tout de même significatif.

Les inquiétudes se focalisent sur la contractualisation, forme de dialogue de gestion visant à contenir l’augmentation des dépenses des grandes collectivités à 1,2 %. Permettez-moi de partager vos inquiétudes sur ces économies réelles. Cela me paraît en effet difficile. D’abord, cela a un effet cumulatif avec les autres baisses de dotations que nous avons déjà pu rencontrer. En outre, elles sont soumises à des charges qui sont, pour une bonne part, souvent incompressibles. Elles sont déjà, comme on l’entend souvent dire, « à l’os ».

Cela me paraît difficile aussi parce que ceux qui prônent un effort conséquent aujourd’hui sont les mêmes qui criaient au loup hier, lorsque le Gouvernement annonçait des baisses de dotation. Cela me paraît un peu contradictoire.

Concernant la masse salariale privée, qui progresserait de 3,3 % en 2017 et 3,1 % en 2018, vous nous dites que les indicateurs conjoncturels laissent penser que l’emploi devrait ralentir. Le Gouvernement anticipe un ralentissement prononcé. Certes, cela relève d’une certaine prudence. Mais cela contredit les ambitions affichées par le Gouvernement en matière d’emploi. Avez-vous des précisions à nous apporter ?

Pourrions-nous parler, peut-être, d’insincérité en termes de vocabulaire ?

M. Daniel Labaronne. Monsieur le président du Haut Conseil, à la page 5 de votre avis relatif au PLF et au PLFSS vous écrivez que, s’agissant des échanges extérieurs, le scénario du Gouvernement – qui table sur une contribution neutre à la croissance – vous apparaît optimiste. Qu’est-ce qui vous laisse penser, d’un point de vue macroéconomique, que la contribution des échanges extérieurs au PIB pourrait éventuellement être négative ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Ce sont les performances récentes des exportateurs qui nous font douter d’une contribution neutre à la croissance. Les performances des exportateurs français peuvent s’améliorer mais, pour l’heure, elles témoignent de difficultés plutôt persistantes de l’appareil productif français à bénéficier pleinement de la progression soutenue du commerce mondial. Notre inquiétude se fonde sur les résultats des années précédentes. C’est là où les réformes structurelles peuvent avoir des effets positifs sur la capacité de l’appareil productif français à répondre à une augmentation mondiale de la demande.

Pour le reste, nous ne parlons pas d’insincérité, en effet, au risque de décevoir. Ce n’est pas le sujet. S’agissant des recettes, je répète que les hypothèses nous apparaissent tout à fait prudentes et raisonnables. En ce qui concerne la dépense, plusieurs constats nous poussent à exprimer des interrogations. La trajectoire est plus exigeante et il est difficile de faire des économies : d’une part, il faut faire preuve de beaucoup de conviction ; d’autre part, certaines économies programmées peuvent reposer soit sur un pari avec les collectivités territoriales, soit sur des décisions qui ne sont pas encore complètement concrétisées. Nous avons donc des interrogations sur ce point.

Pour réviser à la hausse le déficit structurel, monsieur Alauzet, il faudra en effet consentir davantage d’efforts à l’avenir. À cet égard, nous répétons ce que nous avions déjà dit dans nos précédents avis. Le Gouvernement fait preuve d’un plus grand réalisme quand il fait apparaître cet effort structurel à réaliser de façon plus soutenue. Cela correspond, nous semble-t-il, davantage à la réalité de la situation des finances publiques françaises.

Les objectifs à moyen terme dont nous parlons se réfèrent à l’ensemble des administrations publiques : État, sécurité sociale et collectivités territoriales. Il faut reconnaître que l’État a tendance à prendre une grande partie des déficits ; il lui arrive notamment de compenser certaines décisions prises en matière de sécurité sociale.

M. le président Éric Woerth. Il compense ses propres décisions.

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Il lui arrive même de les surcompenser ! Dans les lois de financement de la sécurité sociale, il faudrait d’ailleurs clarifier certains points concernant les relations – dans les deux sens – entre l’État et la sécurité sociale. Il y a tout un travail à faire.

Le nouveau Gouvernement propose-t-il une rupture dans les approches budgétaires ? Ce n’est pas à moi de répondre à cette question. La Cour des comptes dira si tout cela se concrétise, au fil de ses futurs rapports.

Dans le domaine de l’emploi, je ne vois pas non plus d’insincérité dans les prévisions. Les chiffres donnés pour l’année 2017 me paraissent plutôt prudents et réalistes, compte tenu des nombreux éléments dont nous disposons d’ores et déjà, notamment en ce qui concerne la masse salariale. Pour 2018, il nous semble plutôt prudent d’anticiper un certain ralentissement même si le solde reste positif et doit contribuer à l’amélioration de la situation de l’emploi. Selon les projections du Gouvernement, le solde positif est moins important en 2018 qu’en 2017 tout en demeurant positif.

M. Marc Le Fur. Nous nous intéressons à la croissance mais aussi à l’emploi. Autrefois, on créait un lien statistique entre le taux de croissance et le taux d’amélioration de l’emploi. Aujourd’hui, peut-on dire des choses de cette nature ? On a l’impression d’avoir une croissance non créatrice d’emploi. Comment faire en sorte que la croissance soit plus créatrice d’emploi ? Quels ont pu être les effets des efforts dans ce sens, comme le CICE ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Vous avez un tableau qui fait apparaître qu’il y a un lien entre le retour de la croissance et l’augmentation de la masse salariale.

M. Marc Le Fur. Sur l’emploi, ce n’est pas si spectaculaire !

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Les chiffres ne sont pas non plus spectaculaires. Les effets sont progressifs mais ce tableau montre qu’il y a bien un lien.

M. Marc Le Fur. Nous avons un Gouvernement qui n’est pas passionné par le logement, c’est le moins que l’on puisse dire. Il veut réduire certaines aides au logement : il remet en cause la carte un peu étendue des aides au logement locatif et le prêt à taux zéro. Or le secteur du logement crée de l’activité et de l’emploi tout en étant peu coûteux en importations car c’est d’abord l’économie nationale qui en bénéficie. Pourriez-vous nous dire quelle est la part du logement dans l’activité et dans la croissance ? Quel pourrait être l’effet de mesures aussi défavorables que celles qui nous sont annoncées sur le logement ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Je n’ai pas à commenter des décisions politiques. Le Gouvernement annonce des économies dans ce secteur mais aussi une hausse des constructions de logements.

Dans notre pays, il y a des marges de progression en ce qui concerne l’efficacité et l’efficience de la dépense publique dans tous les secteurs, y compris celui du logement. Comme j’ai eu l’occasion de vous le dire lors de ma présentation de l’audit, nous avons un niveau de dépenses publiques qui est ce qu’il est et qu’il ne m’appartient pas de commenter. Cela étant, je peux dire que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur de ce niveau de dépenses. On peut avoir une action publique plus efficace, plus efficiente, sans dépenser autant et même en dépensant moins, en mettant fin à certains doublons ou à des effets d’aubaine qui existent dans pratiquement tous les secteurs.

À la Cour des comptes, nous espérons que votre commission va entrer dans l’exécution. C’est à travers l’exécution que vous appréciez la réalité d’une politique budgétaire et d’une politique publique.

M. François Pupponi. Pour ma part, je suis d’accord sur le fait qu’il faille rentrer dedans, y aller. Encore faut-il le faire intelligemment. On peut annoncer des constructions nouvelles et donc des recettes nouvelles. Mais quelle est la sincérité de ces recettes nouvelles dues aux constructions nouvelles ? Le PLF, qui est proposé et que vous analysez, prévoit des recettes nouvelles sur de nouvelles constructions alors que le choix qui est fait en matière d’aides personnalisées au logement (APL) risque d’entraîner une baisse des constructions. Avez-vous pris en compte ce phénomène pour mesurer la réalité et la sincérité des recettes annoncées en matière de TVA ou d’impôt sur les sociétés dus à la construction ?

M. le président du Haut Conseil des finances publiques. Nous n’avons évidemment pas examiné chaque mesure mais nous avons identifié un risque en ce qui concerne la concrétisation réelle des économies dans ces domaines.

M. le président Éric Woerth. Il me reste à vous remercier, monsieur le président, pour toutes les réponses que vous nous avez apportées.