29/02/2024
Ces dernières années, de nombreux éleveurs ont exprimé, dans nos colonnes, leur désarroi après des attaques de loup. Nous en avons recontacté quelques-uns. Voici ce qu’ils pensent du nouveau plan loup.
Séverine Mizera
Dans ce bâtiment sur les hauteurs de son exploitation à Châteauroux-les-Alpes, Loïc Séard a 760 brebis. Elles en sortiront début mai pour rejoindre les montagnes soit à Crévoux soit à Réallon. Mettre les bêtes à l’abri semble éloigner la menace du loup. Pas toujours. En 2019, le canidé entre dans la bergerie et tue deux brebis. « Il y avait une barrière, il est passé au-dessus. Depuis, on a ajouté une grille ». Il n’est pas revenu dans la bergerie. En revanche, en montagne, Loïc Séard a subi des attaques. Et ce n’est pas le nouveau plan loup qui changera quelque chose. « Ce ne sont que des annonces. Rien n’est fait pour nous. Depuis mon installation en 2013, j’ai perdu 350 bêtes. Aujourd’hui, on banalise les attaques. On ne demande pas à exterminer le loup mais à le réguler. Il faut enlever l’excédent pour que le nombre d’attaques baisse », estime l’éleveur qui souhaiterait que les tirs d’autodéfense soient autorisés et que le statut du loup (espèce strictement protégée) soit revu. « Il faut que les chasseurs puissent les réguler. Il faut créer des bracelets comme pour les chamois, les cerfs ou les chevreuils. Rien que ça, ça serait énorme », commente Loïc Séard.
« On est fiers de nos lieutenants de louveterie »
Comme l’éleveur de Châteauroux-les-Alpes, Marc Savornin, installé entre Montclar et Seyne, a au fil des années augmenté le nombre de chiens de protection dans son exploitation. « D’un, on est passé à six et peut-être sept l’année prochaine ». Bêtes retrouvées mortes, consommées ou blessées, l’éleveur a dû euthanasier des brebis comme en octobre 2020. « Ce nouveau plan n’apporte rien. Il n’est pas terrible », résume-t-il. Et de détailler : « Quand le ministre est venu nous rencontrer en septembre , on lui a demandé de simplifier les choses, d’avoir plus de flexibilité. On est aux balbutiements. Depuis deux ans, on réclame au préfet loup, Jean-Paul Celet, un changement de statut du chien de protection. Toujours rien. On nous demande des chiens pour protéger les troupeaux et c’est nous qui sommes les fautifs même quand le comportement de la population n’est pas adapté. On est traités comme des voyous et fichés par la gendarmerie avec ADN et photos. »
Ce nouveau plan assure de la réactivité des services de l’État. « Nous avons la chance d’avoir un préfet réactif, donc les interventions sont rapides. On est fier de nos lieutenants de louveterie. Sans eux, la situation serait pire », souligne l’éleveur.
« On ramasse des cadavres et on remplit des papiers »
Vincent Barneoud a repris, depuis 2008, la ferme familiale de Saint-Martin-de-Queyrières. Il a 800 brebis et 70 vaches allaitantes Aubrac. Lui aussi souhaite une simplification. Par exemple, le dossier de demande de subventions pour les mesures de protection est plus lourd qu’avant : « On nous décourage de monter des dossiers. On nous demande sans cesse des documents alors qu’on est fiché de partout ». Après une attaque en 2017, il met les cadavres dans une remorque qu’il dépose devant la mairie. Une manière d’alerter les autorités.
Depuis, il en a passé « des nuits et des nuits sans dormir auprès des bêtes ». « Même quand on est jeune, j’ai 37 ans, ça use », confie-t-il. « J’ai juste envie de faire ce métier avec moins de contraintes. Pour l’instant, on ramasse des cadavres et on remplit des papiers », décrit Vincent Barneoud.
Moins de brebis
Malgré toutes les contraintes, il n’a pas envie de changer de voie. D’autres ont choisi de s’adapter. Pour plus de sérénité et comme « le plan loup ne changera rien », Ghislain Ughetto à Marcoux, près de Digne-les-Bains , a modifié sa façon de travailler : « J’ai toujours des brebis mais, à cause de la prédation, moitié moins qu’avant. Il y a six ans, j’ai opté pour des vaches. Aujourd’hui, en plus de 400 brebis, j’ai 30 charolaises. Pour les brebis, je ne navigue plus entre plusieurs lieux. » S’il n’a pas eu d’attaques ces derniers mois, il sait que le loup est toujours présent : « Ma femme en a vu un dans nos champs un soir. »
Dans le Dévoluy, André Gontard , pour qui l’heure de la retraite approche, a choisi de diminuer le nombre de têtes dans son élevage. « J’ai 175 brebis. Avant, j’en avais 250, chiffre-t-il. Ce nouveau plan n’empêche pas l’appréhension du matin quand on va voir le troupeau. »
Pour le député Joël Giraud, « l’arrêté est insuffisant »
Le député Joël Giraud a, par un écrit du 2 octobre 2023, alerté le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, sur “les problèmes causés par la présence du loup et la prédation lupine”. En date du 21 février 2024, deux jours avant la présentation du plan loup, le ministre a répondu et détaillé la politique du gouvernement. Le député haut-alpin estime que “le nouvel arrêté est très insuffisant. Il ne répond pas aux questions essentielles”. Et de prendre de nombreux exemples : les procédures de tir de défense simple ou renforcé n’évolueraient pas ou que très marginalement ; aucune nouvelle zone “difficilement protégeable” n’est prévue, ni aucune différenciation entre fronts de colonisation, territoires déjà très marqués par des zones de présence permanente, etc.
“La responsabilité des éleveurs en cas d’attaque par les chiens de protection (pourtant requis) ne fait toujours pas l’objet d’évolution normative”, regrette Joël Giraud, après la remise du rapport du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. “Ce rapport (sur la mission de conseil relative au statut des chiens de protection de troupeaux) dit qu’il n’y a pas de problème juridique alors que tous les éleveurs y sont confrontés”, analyse le député.
Et l’élu de marteler : “Enfin et surtout, le quota de prélèvements continue à être visiblement inférieur à la progression du nombre d’individus, c’est-à-dire qu’il y a tout simplement plus de loups chaque année en France, comme le montrent d’ailleurs les comptages expérimentaux dans plusieurs territoires”.
Loup : son statut débattu à Bruxelles le 25 mars
Pour le député Joël Giraud, mais aussi pour les agriculteurs qui en appellent à lui, “il est essentiel que le gouvernement se positionne clairement pour le déclassement du loup d’espèce” strictement protégée” à” espèce protégée”. Le ministère lui assure que la France apporte un appui dans la procédure engagée par la Commission européenne sur le sujet du reclassement du loup.
Sur proposition de la députée Pascale Boyer, la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a adopté, le 31 janvier, un avis politique sur le statut de protection du loup et le soutien aux éleveurs.
Trois objectifs figurent dans l’avis : proposer un ajustement des textes à l’état de conservation de l’espèce, mieux accompagner les éleveurs et promouvoir une vraie coordination européenne, notamment sur le comptage.
La prochaine étape se déroule à Bruxelles le 25 mars. Cela fait suite à la proposition de la Commission européenne , le 20 décembre, de modifier le statut de l’espèce tel qu’il figure dans la convention de Berne. Les 27 ministres de l’Environnement se réuniront pour statuer. Pour que la proposition soit approuvée, il faut réunir une majorité qualifiée des États membres, soit 15 pays sur 27 représentant au moins 65 % de la population totale de l’Union européenne.
Les défenseurs du loup mobilisés
Le ministre de l’Agriculture a dévoilé le plan loup 2024-2029, un “plan qui permettra non seulement de poursuivre la protection de l’espèce, mais aussi de mieux accompagner la profession agricole face à la menace de la prédation”. Parmi les annonces, on retrouve notamment un arrêté-cadre qui concerne les tirs de défense. Il permet l’usage des caméras d’observation nocturne, supprime l’obligation d’éclairage pour les louvetiers et permet de passer à deux tireurs, voire trois, pour les tirs de défense simple. L’instruction technique accélère les procédures de délivrance des autorisations de tirs (maximum 48 heures après une attaque) ainsi que le déploiement des louvetiers. Le baromètre d’indemnisation des dommages causés par les prédations par le loup, l’ours et le lynx (pertes directes) est revalorisé à hauteur de +33 % pour les ovins et +25 % pour les caprins.
Aucune mention “des bénéfices qu’apporte l’espèce”
Pour l’association Férus, en dévoilant son plan, “l’État n’a pas tenu compte des avis scientifiques et a ignoré les deux consultations publiques”. “Le dépôt de plus de 13 000 avis, à plus de 90 % défavorables, a montré un vaste attachement à la publication d’un plan permettant d’assurer la coexistence du loup en tant qu’espèce strictement protégée et des activités d’élevages”, souligne l’association. Celle-ci regrette “l’absence d’évaluation du précédent plan”, “le choix délibéré d’utiliser les dérogations juridiquement prévues dans le statut de protection pour organiser, sans l’assumer, une véritable régulation du loup” et qu’aucune mention “des bénéfices qu’apporte l’espèce” ne figure.
Plusieurs mobilisations en mars
Pour One voice, “le gouvernement a choisi de se ranger du côté des lobbies agricoles intensifs. Ce plan oublie totalement son objectif qui est pourtant censé être la préservation des espèces.” “Face à cette extermination programmée”, l’association se mobilise pour défendre le loup et “tenter d’endiguer le massacre annoncé”. En mars, “dans ce combat contre les superstitions et cet acharnement contre la biodiversité et la nature”, plusieurs mobilisations sont prévues en France dont une à Briançon le 3 mars à 10 h 30 place du général Eberlé, une à Château-Arnoux-Saint-Auban le 3 mars à 10 heures au croisement du cours Péchiney et de la rue Merle, et une à Gap le 9 mars à 10 heures place Jean-Marcellin.