L’Argentière-La Bessée : 20 ans après l’incendie du Bois de France, le reboisement se poursuit – Norman Lancelot (le Dauphiné Libéré)

C’était il y a 20 ans. Lundi 7 juillet 2003 se déclarait l’un des plus gros feux de l’histoire des Hautes-Alpes, au-dessus de L’Argentière. Depuis 20 ans, tout est mis en œuvre pour reboiser et assurer la sécurité de la vallée.

Il y a 20 ans, le lundi 7 juillet 2003 à 18 heures, s’enflammait le massif du Bois de France au-dessus de la commune de L’Argentière-La Bessée. À l’origine, l’étincelle d’une disqueuse d’un chantier en bord de la RN 94. 70 sapeurs-pompiers sont envoyés au front. Mais la canicule, le vent, la difficulté du terrain et le manque de soutien aérien ne donnent pas l’avantage aux hommes du feu.

Résultat, ce sont 250 hectares de forêt qui brûlent très rapidement. Le lendemain, des renforts arrivent enfin. Des avions bombardiers d’eau de Marignane viennent fournir un appui aérien. Au plus fort de l’incendie, 350 pompiers seront engagés dans le combat avec 100 camions, sept avions et 74 largages aériens en une journée.

Au total, il faudra plus de deux semaines pour éteindre complètement les différents foyers et ce seront 350 hectares qui partiront en fumée soit environ 50 000 m3 de bois.

Une fois l’incendie complètement éteint, il a fallu penser au futur. Outre l’aspect écologique catastrophique, ce feu emporta les gardiens de la ville : les arbres. Le rôle de la forêt du Bois de France, au-dessus de L’Argentière-La Bessée, est de protéger la vallée en retenant le sol et en parant les éventuelles roches. Après le désastre, il a fallu mettre en place des moellons de protection et replanter immédiatement des arbres.

Un travail de longue haleine

Après les dégâts de l’incendie, il a d’abord fallu nettoyer et sécuriser le terrain. Les agents de l’ONF ont coupé les arbres encore debout pour sécuriser la zone et éviter qu’ils ne s’abattent de manière imprévue. Il a été réalisé un système d’abattage et fascinage. « Il faut couper les arbres et les empiler en les mettant de travers pour retenir le sol », explique Maxime Chenaud, agent ONF en charge du secteur de l’incendie. La priorité a été de revégétaliser les deux torrents afin d’éviter des coulées de laves torrentielles.

La deuxième idée a été de prolonger la piste afin de faciliter l’accès aux pompiers en cas de nouveaux feux. À présent, il existe une piste qui permet d’accéder au massif et une autre qui permet de rejoindre L’Argentière à La Roche-de-Rame par les bois. « Si cette dernière avait existé lors de l’incendie, les pompiers auraient a priori pu endiguer le feu », livre le forestier.

La zone incendiée s’étend de 900 à 2 300 mètres d’altitude, ce qui fait que l’on ne peut pas mettre n’importe quelle essence d’arbre. En bas, il y a surtout du pin noir, qui avait été planté à l’époque pour la protection. En haut, il y a essentiellement du mélèze qui est très bien adapté à l’altitude mais également du pin à crochets. « Avec le changement climatique, nous essayons d’expérimenter des plants de cèdre et de tilleul », explique l’agent ONF.

Depuis l’incendie, 50 hectares ont été reboisés. Sur les zones de retenues, il est planté 2 500 plants par hectare et sur des zones plutôt de plateau il est planté environ 1 100 plants par hectare. Soit entre 70 000 et 80 000 arbres qui ont été réimplantés depuis vingt ans. En 2003, le reboisement coûtait 5 000 euros par hectare, à présent il coûte 12 000 euros par hectare. Les plants de mélèze mis en terre ont environ trois ans et font entre 30 et 50 cm. Ils viennent tous du coin, notamment du Fournel où l’on trouve un peuplement porte-graine classé. L’ONF garantit un taux de 80 % de reprise minimum.

De nouveaux ennemis

« Avant il y avait très peu de cerfs ici, mais à présent ils viennent en zone d’hivernage et ils mangent les jeunes pousses. Ils frottent également leurs bois afin de se débarrasser de leur velours », souligne Maxime Chenaud. Ces actions ont pour résultat de tuer les jeunes plants. Il faut donc avoir une pression de chasse pour éviter les dégâts. L’ONF a également mis en place une protection obligatoire à placer autour de chaque plant.

L’autre problème est le changement climatique qui est en train de faire mourir le pin sylvestre. « Qu’est-ce qui va retenir le sol dans le futur ? » se questionne le forestier.

Le rôle de l’ONF est également de faire de la pédagogie. L’été, ses agents mettent en place une stratégie de défense de la forêt contre les incendies (DFCI), avec des tournées de surveillance des massifs avec le Sdis.

Au milieu du site de l’incendie, certains arbres et plantes ont recommencé à pousser naturellement. Photo Le DL /Norman Lancelot

« Certaines espèces rares se sont installées sur le site »

L’incendie du Bois de France a fait naître une des premières études de recolonisation de la biodiversité après un incendie en montagne. Cette étude a été réalisée par l’association briançonnaise Arnica Montana . Son président, Claude Rémy, professeur agrégé de sciences et vie de la terre (SVT), s’est posé à l’époque de l’incendie la question : “Comment se comportent la faune et la flore après un incendie ?” Le constat de l’étude est que l’incendie peut faire partie d’un équilibre. Dans un premier temps : le néant. Puis, petit à petit, quelques espèces végétales et animales reviennent : les quelques îlots d’arbres épargnés par les flammes donnent naissance à des graines et les plantes nécessitant beaucoup de lumière se développent avec l’absence d’arbre.

Depuis 2003, certaines espèces apparaissent et disparaissent pour laisser la place à d’autres. « C’est une évolution lente », explique Claude Remy. « La nature passe par les herbacés, les plantes, les arbustes puis, enfin, les arbres. On va vers un équilibre forestier, le climax ». Il faut compter environ 100 ans pour qu’un écosystème se régénère totalement.

L’association a également mis en avant le fait que certaines espèces rares se sont installées sur le site comme l’ibéris ou le papillon proserpine. Selon Claude Remy, « la question de la replantation après incendie fait débat et il serait judicieux de planter un mélange d’arbres. Car l’augmentation de la diversité végétale favorise l’augmentation de la diversité d’insectes… favorisant à son tour la diversité végétale. »

« Nous sommes beaucoup mieux formés aujourd’hui», souligne Jean-Claude Flamen d'Assigny. actuellement chef de la caserne des sapeurs-pompiers de L’Argentière-la-Bessée et présent sur l’incendie il y a 20 ans. Archives Photo Le DL /Brice Buchet

« De nos jours, il y a beaucoup plus de moyens »

Jean-Claude Flamen d’Assigny est entrepreneur électricien, pompier volontaire depuis 37 ans et actuellement chef de la caserne des sapeurs-pompiers de L’Argentière-La Bessée. Il y a 20 ans, il était également présent sur l’incendie.

Pourquoi cet incendie était-il difficile à éteindre ?

« Le vent l’a vite fait monter vers les crêtes. Le site était difficile d’accès car il n’y avait pas de piste. Les Canadairs étaient sur une autre intervention dans le Sud et ne sont arrivés que le lendemain. Pendant 15 jours on parvenait à calmer le feu le matin mais il repartait vers 15 heures à cause du vent et de la grande chaleur de la canicule. »

Est-ce qu’il pourrait être mieux géré à notre époque ?

« De nos jours, il y a beaucoup plus de moyens qu’à l’époque. De plus nous sommes beaucoup mieux formés. Nous partons souvent aider les pompiers éteindre les incendies dans le Sud, ce qui nous habitue à gérer ce genre de situation. Nous avons également du meilleur matériel et des camions plus performants. La sécurité du personnel est également bien meilleure. Mais le problème, ici, c’est le relief. On peut avoir tous les moyens du monde, sans les avions, on ne peut rien faire. »

Comment éviter ce genre de catastrophe ?

« On réalise de la prévention. On demande aux gens d’être raisonnable et de faire attention à leur mégot, leurs outils, leur barbecue. Il faut faire preuve de bon sens. Malheureusement, je trouve qu’il n’y a pas de prise de conscience et qu’au contraire, il y a une sorte de régression. Les gens ne sont pas raisonnables. »

Quelle est donc la solution ?

« Il faudrait sur notre secteur au moins dix pompiers de plus. Malheureusement, les gens ne s’engagent plus. Ils veulent avoir moins de contraintes. Il y a un gros problème de recrutement. Nous réalisons 400 interventions par an et entre 80 et 100 interventions par mois en juillet et août avec seulement 25 pompiers et un saisonnier en renfort. La commémoration de cette année est également l’occasion de donner envie aux gens de s’engager. »

Ces vendredi 7 et samedi 8 juillet, on commémore l’incendie de L’Argentière- La Bessée. L’événement est organisé par l’Amicale des sapeurs-pompiers de L’Argentière-La Bessée et du Service d’incendie et de secours des Hautes-Alpes (Sdis). Au programme : conférence-débat, film, exposition photo, repas, soirée dansante et journée portes ouvertes à la caserne.