Niches fiscales : «Certains avantages sont clairement obsolètes» (Le Parisien)

Le rapporteur général du Budget Joël Giraud (LREM), dénonce les « trous noirs fiscaux » des exonérations pour lesquelles on ne dispose pas de données d’évaluation.

Joël Giraud, le rapporteur général du Budget, souhaite faire le ménage parmi les 468 niches fiscales qui existent en France. Et représentent chaque année environ 100 milliards d’euros de manque à gagner pour l’Etat. Parmi ces coups de pouce fiscaux, certains sortent complètement des radars du ministère des Finances et n’ont pas été évalués depuis des années, déplore le député (LREM) des Hautes-Alpes.

Vous dénoncez depuis plusieurs mois l’absence d’évaluation de plusieurs dizaines de niches fiscales. Qu’allez-vous proposer lors de l’examen du projet de loi de Finances pour faire changer les choses ? JOËL GIRAUD. J’ai identifié précisément 58 trous noirs ! Ce sont 58 niches fiscales complètement sorties des radars de l’administration, dans le sens où Bercy est incapable d’évaluer, à la fois, le nombre de bénéficiaires, mais aussi le coût que ces niches représentent pour l’Etat chaque année. Dans un premier temps, j’ai déposé un amendement à visée pédagogique, demandant la suppression de toutes ces niches. Il a été voté mercredi dernier (9 octobre) en commission des Finances.

Sont-elles vraiment toutes à supprimer ? Non, certaines sont légitimes. Je ne souhaite évidemment pas supprimer, par exemple, l’exonération des droits de mutation pour les dons reçus aux victimes de terrorisme. Mais certains avantages sont clairement obsolètes, comme l’exonération des chambres de commerce maritime. Cette niche fiscale, qui date de 1942, a été maintenue après la guerre pour reconstruire les grands ports français. Aujourd’hui, elle n’a plus lieu d’être. Mon objectif est surtout d’obtenir, enfin, des données chiffrées.

Une fois que vous aurez ces montants, que se passera-t-il ? En fonction des informations de l’administration, nous pourrons décider de la justification, ou non, de certaines niches. Je vais déposer dans les jours qui viennent un nouvel amendement au projet de loi de finances pour borner les niches restantes, celles pour lesquelles nous n’aurons obtenu aucune information. Cela signifie que si, sous un an, Bercy ne nous fournit aucune explication qui justifie de les prolonger, elles seront automatiquement supprimées.

En avez-vous certaines dans le viseur ? Oui ! Notamment celle qui permet aux artistes, aux écrivains ou aux sportifs d’étaler leur impôt sur le revenu sur trois ou cinq ans. En 2011, une évaluation de ce dispositif a permis de montrer qu’il conduisait à un « pur effet d’aubaine » et qu’il « favorisait les comportements de pure optimisation ». Mais rien n’a été fait pour le supprimer ! Or, je crois que ce genre de niche fiscale profite uniquement aux célébrités qui ont des comptables pour les aider à déclarer de gros cachets. Le petit intermittent du spectacle qui touche une belle enveloppe pour un premier spectacle ne sait même pas que cela existe.

Comment se fait-il qu’aucune de ces niches n’ait été évaluée depuis des années ? Franchement, je ne sais pas. Je ne connais pas la raison pour laquelle l’administration choisit d’évaluer une niche et pas les autres. Peut-être les fonctionnaires de Bercy ont-ils trop de travail ? Mais certains des trous noirs que j’ai identifiés peuvent possiblement coûter cher à l’Etat. Ne pas en connaître le coût pour les finances publiques n’est pas sérieux…

Le budget de l’Etat est donc calculé sans prendre en compte ces niches fiscales ? Tout à fait. Cela veut dire que le budget de l’Etat n’est pas juste. Mais de combien ? C’est impossible à dire !

Cela semble en effet très étonnant… Cela renvoie l’image d’un Etat qui n’a aucune culture de l’évaluation. Il faut changer les choses. D’autant qu’une fois que nous aurons mis de l’ordre dans les trous noirs, il faudra regarder les « trous gris », ces niches fiscales dont on connaît soit le nombre de bénéficiaires, soit le coût, mais jamais les deux. Là encore, on ne peut pas évaluer correctement un avantage fiscal avec des informations limitées.

Par Aurélie Lebelle et Matthieu Pelloli