Barrages hydroélectriques : il faut passer du fantasme à une vigilance efficace sur le plan énergétique et territorial

barrage de Serre-Ponçon

Première source d’électricité renouvelable en France, les barrages hydroélectriques produisent 12,4% de notre mix électrique et sont le seul outil de stockage et donc de pilotage de l’énergie. Ils jouent par ailleurs un rôle essentiel pour l’alimentation en eau, l’irrigation, la protection des écosystèmes aquatiques, le refroidissement des centrales thermiques ou nucléaires, le contrôle des crues mais aussi parfois d’aménagement du territoire à vocation touristique comme à Serre-Ponçon. Autant dire que le devenir de leur gestion, tant au regard des objectifs de performance énergétique, de sécurité publique et de rentes hydrauliques dont doit bénéficier la puissance publique, revêt une importance capitale.

Le 7 mars 2019, la Commission européenne a mis en demeure la France (suite à une première mise en demeure de 2015) concernant ses pratiques de renouvellement ou prolongation de certaines concessions hydroélectriques sans recourir à des procédures d’appel d’offres, ainsi que 7 autres Etats membres pour des raisons semblables, et lui a demandé d’établir un calendrier précis de mise en concurrence des 150 concessions (sur 400) qui arrivent à échéance d’ici 2023 en exigeant qu’«un nombre significatif» de barrages soit confiés à des opérateurs privés. En détenant et gérant 85% du parc hydraulique français, deuxième en Europe, soit près de 2300 barrages, EDF, société anonyme à capitaux publics détenus à 83% par l’Etat, exerce aux yeux de la commission européenne une situation de monopole incompatible avec les textes européens.

Joël Giraud avait déjà alerté le ministre de l’économie Pierre Moscovici en 2013, le précédent gouvernement sous la présidence de Nicolas Sarkozy n’ayant pas agi vis-à-vis de la Commission européenne, sur les risques d’une ouverture incontrôlée à la concurrence des concessions hydroélectriques en sollicitant l’avis de la Commission de Régulation de l’Energie sur cet enjeu majeur pour nos territoires de montagne. Il a participé en 2013 à la mission sur le sujet dont la députée iséroise Marie-Noëlle Battistel était co-rapporteure au sein de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale. Les concessions hydroélectriques produisant aujourd’hui l’électricité la moins chère de France avec 20 à 30 €/MWh (contre 35 à 46 pour le nucléaire), on peut légitimement craindre une incidence sur les futurs tarifs qui sont réglementés en fonction des coûts de productions. Comment rester maître des quantités produites par un opérateur privé ? Quelle capacité a la puissance publique d’encadrer strictement juridiquement la gestion par le privé de ce bien public amené à se raréfier qu’est l’eau : quelle marge de rentabilité autoriser, quelle réactivité attendre notamment en terme de sécurité, quelle gestion du stockage et réponse au cours du marché de l’énergie… Mais aussi quel respect des conventions comme celle permettant par exemple au lac de Serre-Ponçon de disposer d’une côte minimale en période touristique ?

Sans soutenir de doctrine idéologique concernant le bienfondé d’une gestion publique ou privée d’un bien d’intérêt général, mais toujours soucieux de l’évaluation des politiques publiques, le député haut-alpin sera particulièrement vigilant quant à la réponse qu’entend apporter la France à la Commission européenne. Si des dérives parfois intolérables ont pu être constatées dans les concessions autoroutières ou sur l’eau, il reste toujours possible, en concertation avec la commission européenne, de renforcer et rester maître des modalités contractuelles de mise en œuvre des nouvelles concessions. Car de privatisation à proprement parler, il n’en est pas question : les barrages restent bien propriété de l’Etat qui garde la main sur ses contrats et le choix de ces concessionnaires, dont il faut sécuriser les critères de sélection objectifs, lesquels ne doivent pas, a priori, disqualifier les candidatures de l’opérateur historique à ses renouvellements.

Au-delà il faut œuvrer à la cohérence des concessions constitutives de « chaînes d’aménagements » stratégiques, comme celle de la Durance, dont l’identification pourrait fait l’objet d’une mission au niveau national, car l’arrivée à terme d’une concession sur toute une chaîne n’a pas de pertinence si l’ensemble de la chaîne n’est pas concernée.

Il faut de manière essentielle garantir à l’Etat et aux collectivités territoriales concernées de bénéficier de la rente hydroélectrique générée par les concessions dont les aménagements principaux sont amortis de longue date et veiller à accorder parallèlement aux collectivités territoriales une part plus importante de la redevance proportionnelle. Le taux de redevance proportionnelle aux recettes résultant de la vente d’électricité produite par la concession, sans être confiscatoire au regard du poids des investissements dans ce secteur, doit être un critère déterminant de l’appel d’offre sans être le seul. L’autorité concédante doit donc à mon sens dans cette optique associer les collectivités territoriales concernées à des comités de suivi de la performance du concessionnaire tout au long du contrat.

Enfin les obligations relatives aux différents usages de l’eau autre qu’énergétiques, comme le tourisme, un élément capital pour Serre-Ponçon, doivent être strictement déclinées par l’autorité concédante lors de la mise en concurrence et chiffrées par chaque candidat selon des critères objectifs.

Ainsi que l’a indiqué le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire le 20 mars dernier en réponse à un député lors de son audition par la commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale :


« Sur l’avenir des concessions hydroélectriques, j’estime comme vous l’aviez dit dans votre rapport, qu’une ouverture non maitrisée peut avoir des conséquences dommageables sur notre approvisionnement électrique. Nous sommes désormais sous le coup de procédure de mise en demeure ouverte par la Commission européenne pour que nous ouvrions davantage nos concessions à la concurrence. J’estime qu’il faut continuer à discuter, à négocier avec la Commission européenne. Parce que je suis très sensible aux arguments que vous avancez, nous voulons prendre en compte tous les aspects de cette ouverture à la concurrence, et nous souhaitons convaincre la Commission européenne que ce n’est pas forcément la meilleure solution. Nous voulons continuer à négocier avec la Commission européenne pour faire valoir nos arguments. »

Il n y a donc pas à ce jour le feu au lac… de Serre Ponçon sur ce sujet qui n’est pas nouveau et il ne faut pas confondre vigilance et désinformation à la veille des élections européennes.


Joël Giraud et Marie-Noëlle Battistel sur le chantier de Livet-Gavet en Isère lors des travaux de la mission d’information parlementaire en 2013 sur la mise en concurrence des barrages hydroélectriques

article du Dauphiné Libéré du 8 mai 2019 : http://joelgirauddepute.fr/wp-content/uploads/2019/05/art.-DL-barrages-hydroélectriques-8-05-19-e1557319842838.png

article du Dauphiné Libéré du 21 mai 2019 : http://joelgirauddepute.fr/wp-content/uploads/2019/05/art.-DL-barrages-21-05-19-1.pdf

article de Alpes et Midi : https://www.alpes-et-midi.fr/article/privatisation-contestee