PARIS, 19 déc 2018 (AFP) – Entre humour potache et indépendance de vues, le rapporteur du budget à l’Assemblée, Joël Giraud, entraîne la majorité mais fait rire jaune les fonctionnaires de Bercy, à l’heure de boucler un marathon budgétaire particulièrement rude.
Rires à gorge déployée en commission, port d’une chemisette à l’approche de l’hiver… Le député « marcheur » des Hautes-Alpes, 59 ans, qui se décrit comme un « T-Rex » du Palais Bourbon, détonne.
« Mon style interpelle: ils n’ont pas l’habitude à Paris », avait confié le rapporteur au Dauphiné Libéré fin 2017, après une saison à ce poste stratégique.
Ses opinions décontenancent aussi. Sa suggestion, dès le 5 décembre, de mettre à contribution les très grandes entreprises pour financer des mesures dans la crise des « gilets jaunes » a ainsi fait bondir le PDG d’Orange Stéphane Richard.
L’été dernier, il a semé un vent de panique dans les couloirs du ministère des Finances en y débarquant à l’improviste pour récupérer des données fiscales qu’on tardait à lui fournir.
Ancien haut fonctionnaire, passé lui-même par Bercy via Tracfin, organe de lutte contre le blanchiment de capitaux, Joël Giraud avait filmé la scène puis diffusé la vidéo, sur fond de musique de western. « Cela n’a pas été apprécié et j’ai préféré la retirer », racontera-t-il.
« C’est potache. C’est Joël quoi… », commente Laurent Saint-Martin, appelé à lui succéder début 2020 au poste de rapporteur. « Il s’est retrouvé face à des portes closes. Il a eu raison de pousser la provocation jusqu’au bout », estime l’élu du Val-de-Marne, 33 ans, qui peine parfois à saisir ses blagues en allemand.
Ce radical de gauche tôt rallié à La République en Marche maîtrise aussi l’italien, lui qui a vécu près du Piémont.
Il a été maire pendant plus de vingt-cinq ans de son village, L’Argentière-la-Bessée. Comme son père qui, en 1986, « n’a pas survécu » à la fermeture de l’usine Péchiney. Ce quatrième mandat de parlementaire sera « (son) dernier », promet-il.
Son « sparring partner » habituel, le président de la commission des Finances Eric Woerth (LR), loue chez lui « indépendance d’esprit », « sens du collectif » et son côté « boute-en-train ».
« Son indépendance, il la revendique plus qu’il ne l’affirme », nuance l’Insoumis Eric Coquerel, tout en lui reconnaissant des « qualités humaines ».
– « Vieux protestant » –
Côté gouvernement, Joël Giraud dit s’entendre aussi « paradoxalement très bien » avec Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics et ex-poulain de Nicolas Sarkozy, également amateur de bons mots avec qui il passe de longues nuits dans l’hémicycle.
Sur le budget, le montagnard s’est mué en maître de stage avec la jeune génération, comme l’actuelle « whip » (cheffe de file) LREM de la commission des Finances Bénédicte Peyrol, 27 ans.
Avant cela, il a formé un binôme atypique pendant dix-huit mois avec la députée « techno » Amélie de Montchalin, 33 ans, qui a fait ses armes chez Axa et est devenue numéro 2 des députés macronistes. « C’était la jeune femme catholique avec moi, le vieux protestant », décrit-il.
« Il a des convictions mais pas de certitudes, sauf sur quelques sujets de prédilection où c’est dur de le faire changer d’avis », affirme l’élue de l’Essonne.
Taxer les « biens ostentatoires », comme les yachts, en plein débat sur la réforme de l’ISF en 2017, c’est son idée.
Ses critiques sur le projet de loi asile-immigration – les migrants sont « considérés comme des invisibles » – avaient aussi eu un certain écho. Il n’avait pas pris part aux scrutins. « J’irai plutôt faire pipi », avait-il annoncé dans l’Obs.
Pour ce militant du droit de mourir dans la dignité, le texte à venir sur la bioéthique, courant 2019, pourrait « aussi coincer ».
« Il peut en agacer certains » dans la majorité, observe la socialiste Christine Pirès-Beaune, qui le connaît de longue date. « Il sait aussi faire des concessions pour son parti », d’après Patrick Vigne, actuel maire de L’Argentière-la-Bessée.
« Rapporteur, c’est un boulot de chien qui doit rester fidèle à son maître », commente un député chevronné. « Ses prédécesseurs avaient tendance à se prendre pour Dieu. Au moins, lui est sympathique et aime la vie. C’est rare à ce poste ».