La ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, Dominique Faure, a été invitée par Marc Beynet, président de l’association des maires ruraux des Hautes Alpes et Bernard Ducros, Président du parlement rural français et sénateur du Cantal et à ouvrir la première session territoriale du parlement rural français au pôle XXe à Savines Le Lac.
La ruralité en partage : le gouvernement appelé à agir
C’est le thème fil conducteur qui a été déroulé tout au long de la journée devant un parterre d’élus et acteurs locaux venus assister à ce temps d’échange et de dialogue direct concernant la gestion des ressources en eau et les aménités rurales. Directs, certains l’ont été face à l’enjeu essentiel de la question de la ruralité qui attend des réponses urgentes face aux problématiques sociales et environnementales.
Marc Beynet rappelle dans son introduction que les Hautes Alpes est un département rural à 88% qui compte au moins 120 communes de moins de 1500 habitants et une vingtaine de moins de 100 habitants : « gérer une commune rurale peut paraitre facile depuis la capitale. Ce n’est pas le cas pour les maires de ses communes ou parfois même il faut administrer la commune et être l’agent communal ». Il précise que la DGF (dotation globale de fonctionnement) versée par l’Etat ne permet pas de salarier le personnel nécessaire au bon fonctionnement des communes. La ruralité représente plus de 80% de la superficie du territoire français et 33% de la population. « Pour les maires ruraux, les communes sont utiles autant que les villes ou les grandes agglomérations, il est temps de prendre conscience de valeurs, des atouts, des enjeux de la ruralité. Il est venu le temps de passer des paroles aux actes en apportant des réponses concrètes aux défis environnementaux et sociaux en tenant compte d’une nouvelle approche de la dynamique des territoires ruraux et de ce qu’apportent les ruralités en partage ».
Le président de l’association des maires ruraux des Hautes Alpes précise que l’Etat investit pour la ruralité mais constate avec pessimisme que 94.8% des communes rurales ne sont pas éligibles Action Cœur de Ville ou Petites Villes de Demain : « la ruralité est un mode de vie que certains nous envie, défendre la ruralité c’est défendre l’agriculture, l’élevage, le pastoralisme, notre environnement, le premier devoir des ruraux est de défendre les communes, petites ou grandes ».
Bernard Delcros, président du parlement rural français créé en 2019 précise que ce parlement rassemble beaucoup d’élus mais aussi des chefs d’entreprises, chercheurs, universitaires et associations qui agissent au cœur de la ruralité au quotidien : « une diversité d’acteurs qui ont tous en commun d’être partie prenante et d’agir pour la ruralité. Notre but c’est d’être force de proposition et de peser sur les politiques publiques pour les faire évoluer d’avantage en faveur de l’espace rural qui a un bel avenir devant lui et dont la place dans la société française va inévitablement se renforcer» précise-t-il.
Pas de mise sous cloche de la ruralité pour la ministre Dominique Faure
Dominique Faure précise que la valeur du partage est inscrite dans l’ADN même des ruralités « C’est la solidarité entre les familles face aux difficultés, face aux tempêtes, face à la vie dure, c’est l’entre-aide et c’est le souci de nos aînés, une certaine idée du collectif, de la vie en société. Il ne s’agit pas de mettre en place une mise sous cloche de nos ruralités qui sont souvent le poumon vert et l’espace de respiration des urbains. Cette réflexion sur les aménités vise au contraire à développer la vie économique et écologiques dans nos ruralités pour en faire une force peut être même une locomotive demain. Je partage l’ambition de reconnaissance des ruralités au sens large mais aussi une volonté d’inscrire cette définition des aménités rurales dans la loi pour pouvoir demain y associer des dispositifs comme des dotation supplémentaires ou des exonérations diverses et variées ». Le gouvernement travaille sur une loi en faveur des ruralités qui sera étudiée à l’automne prochain au parlement à commencer par le Sénat « Cette loi permettra d’inscrire dans le marbre la définition des ruralités à la française, définition qui évolue qui servira de reconnaissance à la spécificité des territoires ruraux. Cette loi permettra de définir les aménités rurales pour les reconnaitre et valoriser le patrimoine naturel de nos campagnes et de nos montagnes Elle servira enfin de support à la réforme des zones de revitalisation rurales (ZRR) promise par la première ministre dès le salon des maires en novembre 2022».
Dominique Faure conclut son introduction en évoquant la problématique du partage de l’eau et de la compétence en la matière qui et très attendue : « la question du transfert de la compétence eau et assainissement de la commune à l’intercommunalité a créé des remous dans notre vie politique nationale mais aussi locale. Le gouvernement l’a dit et je le redis, la politique de l’eau doit être coordonnée, mutualisée pour entre autre penser à l’entretien de la remise en état des infrastructures et pour prendre en compte les chaines des bassins versants. La question reviendra très prochainement à l’assemblée nationale au début du mois de juin dans le cadre de la proposition de loi sénatoriale. Le gouvernement y portera 2 amendements sous couvert desquels il pourrait se montrer favorable à l’adoption de cette proposition de loi : la création de nouveaux syndicats infra communautaires en matière d’eau et d’assainissement dans le périmètre des communautés de commune et la création de syndicats mixtes ouverts départementaux assurant tout ou partie de la production, du transport et du stockage d’eau destinée à la consommation humaine ».
De réels besoins d’équité entre ville et montagne pour gérer les contraintes
La première table ronde s’est déroulée sur le thème de l’eau, une nécessaire ressource en partage. Plusieurs intervenants ont exprimé les enjeux de cette ressource épuisable, sa qualité, sa gestion et c’est le point parfois houleux de la compétence eau, source d’inquiétudes pour certains élus. L’intervention de Nathalie Rousset, vice-présidente du conseil national de l’eau et aussi conseillère départementale en Haute Loire a suscité de vifs applaudissements. Elle rappelle d’abord que le conseil national de l’eau est une institution qui existe depuis 1964 et placée auprès du ministre de l’environnement qui a un travail de consultation au préalable des grandes orientations de la loi, des textes qui vont sortir au niveau de la règlementation sur l’eau. Il est composé de différents comités qui ont été définis par le code de l’environnement et dans lesquels il y a des groupes de travail qui permettent d’avoir une vision très globale de la thématique eau. C’est en tant qu’élue qu’elle alerte sur une situation compliqué d’habitants en amont des grands barrages : « il y a des pressions et des zonages, on leur demande d’être plus propres que les voisins qui vivent au-dessous et finalement c’est une vraie question en terme de solidarité entre la ville qui est en aval et l’amont qui est la ruralité. Des contraintes environnementales ont été définies et décrites par la loi avec des zonages, le système de la loi définit que les gens de l’amont ont l’eau et doivent la laisser s’écouler de bonne qualité vers les gens de l’aval on n’a pas créé de mécanisme inverse qui ferait une sorte de cohésion, de cohérence de « remerciement » pour ceux qui ont été dans les villages inondés et qui en pleurent toujours alors que les barrages ont été fait depuis longtemps. Les ruraux sont discrets, nous sommes au bout de la chaine et nous sommes les faiseurs, il faut demander qu’on nous donne les moyens de faire sur nos territoires. Ces politiques de l’eau sont souvent un peu abstraites, un peu théorique et très dogmatiques malheureusement et ça ne permet pas de faire ce que l’on a besoin de faire. Il ne faut pas punir la ruralité d’avoir encore de la biodiversité, au contraire, il faut la féliciter et l’encourager, l’accompagner, c’est de la cohérence nationale.»
Jean Michel Arnaud, sénateur des Hautes-Alpes reviendra plus tard sur ce point en alertant la ministre sur la question de la taxe GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations) et les solidarités amont/aval : « on ne pourra pas continuer à demander à nos communes de montagne de travailler sur les grands objectifs fixés dans le cadre du plan d’eau définit par le Président de la République si on ne traite pas ce sujet, et notamment dans les solidarité amont/aval, il n’est pas normal que l’on traite en amont dans les zones de montagne, les torrents dans des conditions qui sont toujours compliqués et que les bénéficiaires finaux ne se retrouve pas dans la situation de contribuer à la bonne santé globale de nos réseaux d’eau et notamment torrentiel dans la montagne en amont».
La gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement »
Le sénateur des Alpes de Haute Provence Jean Yves ROUX a déposé une proposition de loi sur le thème de l’eau et de l’assainissement. Il rappelle que quand les compétences sont transférées il y a des financements de l’agence de l’eau à aux syndicats et intercommunalités qui malheureusement ne concernent pas les communes isolées : « ma réflexion est de dire que si on avait continué à financer les communes comme l’agence de l’eau le faisait auparavant, la compétence serait transférée plus facilement ». Il questionne la ministre directement : est-ce que la compétence eau va être optionnelle ? Car à ce jour on est dans l’obligation au 1er janvier 2026 de transférer cette compétence et d’après ce qui a été dit les communautés de commune pourront déléguer cette compétence à des syndicats départementaux. Mais est-ce que vous laissez le libre choix à la commune de faire sauter ce verrou du transfert de compétence obligatoire ? »
Un texte de loi voté par 80% des sénateurs comme le rappelle Jean Michel Arnaud, sénateur des Hautes Alpes qui précise : « je retiens de la venue du président de la République sur les rives de Serre-Ponçon il y a quelques semaines une phrase que je cite : volonté de mettre beaucoup de souplesse et d’apaisement sur la question de la politique de l’eau. Je souhaite que pour les intercommunalités mais aussi, notamment pour les zones rurales et les zones de montagne, les agglomérations qui existent dans ce territoire, on ait le pouvoir de choisir son organisation. Nous sommes les défenseurs de liberté de choix d’organisation de la compétence car c’est au maire de décider, d’apprécier, d’analyser et de partager avec sa population des choix d’organisation des services de l’eau. Par ailleurs, faisons en sorte, là où il est possible de mutualiser, comme c’est déjà le cas dans un certain nombre de secteur du département des Hautes Alpes et de France, d’avoir la possibilité de créer de nouveaux syndicats, à cela doit s’ajouter une politique de moyens. Je rappelle qu’aujourd’hui dans les Hautes-Alpes, si on n’est pas en ZRR on n’a pas d’aides complémentaires de l’agence de l’eau.
Il conclut son allocution en précisant de ne pas sous-estimer la dimension identitaire de l’eau, l’eau est l’identité des communes, une capacité à gérer les relations de proximité et le maire à un rôle important d’apaisement dans les conflits d’usage et pour cela il faut qu’il soit encore actif dans sa commune : « Si l’entretien et la gestion du réseau est bien géré par le maire (taux de fuite, investissements, qualité de l’’eau) et sa commune, je ne vois pas pourquoi on l’obligerait à modifier son mode de gestion puisqu’il est opérant. Si un maire est en difficulté et a besoin de mutualiser, il peut le faire dans le cadre d’un syndicat infra communautaire avec un travail d’ingénierie qui put être porté par l’intercommunalité et ou le département, c’est cette souplesse qu’il faut conserver avec les moyens financiers adossés et un dialogue renforcé avec les agences de l’eau ».
Un « oui mais non » pour la ministre ?
La ministre Dominique Faure espère bien résoudre le problème de la gouvernance de l’eau dans un climat sociétal où l’un des principaux enjeux aujourd’hui c’est la ressource en eau : « l’objectif que l’on partage tous est de 3 nature : d’abord être économes en matière de consommation d’eau, c’est ce que nous appelons la sobriété dans le plan eau. Deuxièmement, protéger cette ressource en eau très en amont et troisièmement servir une eau de qualité à nos concitoyens. Ceci est très consensuel. Pourquoi le gouvernement est aussi attaché à la mutualisation ? Moi je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas concilier nos deux mots. Le vôtre qui est la gestion différenciées, à laquelle je souscris mille fois, et que vous souscriviez à notre objectif que nous portons et que cette gestion de l’eau soit mutualisée ».
Pour être plus sobre, plus économe, éviter les fuites, cette solidarité d’investissement parait intéressante : « pour moi le risque de pollution est réel même si les communes investissent. Ensuite l’été dernier près de 500 communes ont été alimentées en eau au moins une journée. La sècheresse monte et cette solidarité de gestion de l’eau doit être totale. On pense que si cette solidarité est déjà réalité dans la protection et que la gestion des ressources existent déjà, elle sera encore plus facile car on aura créé de la redondance de réseau et on aura pris l’habitude non plus de traiter ce sujet à la maille communale mais à une maille supérieure. Nous avons la conviction que d’ici 2026 nous devons convaincre petit à petit que, pour ce bien commun, pour cette ressource en eau, avec ce changement climatique, avec cette sécheresse, avec ces investissements absolument nécessaires on doit faire à plusieurs. Ce n’est pas dans le parlement rural qui a mis la ruralité en partage que l’on va refuser le fait de travailler encore plus cette solidarité intercommunale.
Elle finit en ouvrant la porte aux propositions qui seront faites par le parlement rural en ce qui concerne la GEMAPI dont elle concède qu’il faut retravailler le sujet en terme d’équité et de mutualisation.
La ministre précise qu’elle sera au banc à l’assemblé pour débattre de ces sujets en étant la plus ouverte possible afin de trouver, à défaut d’un compromis, un consensus.
Rebondissant sur les propos de la ministre, le président du Parlement rural français a lancé une nouvelle fois un appel au gouvernement : la mise en oeuvre d’un plan d’ampleur en faveur des campagnes afin d’ouvrir des perspectives aux jeunes générations qui souhaitent y bâtir leur vie.
• Reconnaissance et rémunération des aménités rurales à hauteur de 100 millions d’euros dès 2024 ;
• Prise en compte de la notion de l’espace dans le calcul des dotations ;
• Renforcement des ZRR, pour lequel le sénateur Delcros a annoncé avoir déposé une proposition de loi le 20 mai dernier ;
• Plus de souplesse et de flexibilité dans les réglementations pour s’adapter aux réalités du terrain ;
• Garantie rurale de 1 ha minimum constructible pour toutes les communes rurales ;
• Engagement de l’Etat en faveur des services dans les domaines de la santé, de l’éducation, du logement, des mobilités…
« Le plan France Ruralités doit impulser une nouvelle politique volontariste et ambitieuse d’aménagement du territoire en s’emparant de tous ces sujets. Il doit se traduire par un projet de loi débattu avec les élus qui vivent la ruralité au quotidien. Dans une France en mutation qui doit relever les défis de transition écologique, énergétique, de
souveraineté alimentaire, de réindustrialisation… les campagnes doivent être entendues car elles sont les solutions. L’attente est forte. Ne ratons pas ce rendez-vous ! »
a-t-il conclu sous les applaudissements de plus de 200 participants. Ces propositions feront l’objet d’une résolution du PRF en amont de l’annonce du plan France Ruralités proposé par le gouvernement.