publié par David Pujadas le 10 avr. 2020 à 6h45
A force d’entendre que le Covid-19 révèle les failles de notre système mondialisé, on en oublierait presque de voir qu’il en atteste aussi les forces, écrit David Pujadas : l’effacement de l’économie devant l’impératif sanitaire, la formidable réactivité de l’hôpital, la BCE et ses largesses… Finissons-en avec la déploration permanente.
On dit beaucoup que la crise du Covid agit comme un révélateur des faiblesses de notre système : économies fragiles, mondialisation irresponsable, services publics affaiblis, impuissance publique. Et si elle en montrait aussi les forces ?
Il est dans la nature humaine, et encore plus dans l’esprit journalistique, de ne voir que les travers. C’est ce qui permet parfois d’avancer. Mais la déploration perpétuelle est-elle le seul carburant de l’action ? Listons les doléances. On entend : « Il faut remettre l’homme au coeur des préoccupations. » Il y aurait donc un âge d’or… Celui des Trente Glorieuses, par exemple ? En 1969-1970, la grippe de Hong Kong déferle sur la France. Elle fait 25.000 à 30.000 morts (dans un pays de 50 millions d’habitants). Qui s’en soucie ? Pas d’édition spéciale du journal de 20 heures, pas de une de « France Soir » ou du « Monde ». Pas de polémique sur les masques ou les tests. De fait, jamais une autre époque que la nôtre n’a accordé autant d’importance à l’homme, sa vie, sa santé, ses droits. Non, ce n’était pas mieux « avant ».
On entend comme en corollaire : « L’économie et l’argent mènent le monde à marche forcée. Rien d’autre ne compte. » Comment expliquer alors que, sur une moitié de la planète, les gouvernements aient décidé de stopper purement et simplement un tiers de l’activité économique pour freiner l’épidémie et sauver nos plus anciens d’une hécatombe ? Cette décision de court-circuiter la production à une échelle aussi vaste n’a sans doute pas d’équivalent dans l’histoire.
Les prouesses du corps médical
On entend : « Nos services publics sont à terre. Cette épidémie met en lumière leur dénuement et leur désorganisation. » « Sérieux », comme disent nos ados ? En deux semaines, notre hôpital public soi-disant sclérosé a réussi la prouesse de multiplier par deux le nombre de lits de réanimation. Il a fait face. Les réservistes ont répondu présent. Des soignants de l’Ouest sont venus prêter main-forte aux hôpitaux de l’Est. Des patients de l’Est ont fait le chemin inverse. L’armée y a aussi contribué.
On peut faire mieux ? Sans doute. On doit dépenser plus ? Pourquoi pas. Mais regardons les chiffres. Nous consacrons chaque année 11 % de notre richesse produite à la santé. Cette proportion est exactement la même en Allemagne (plus performante que nous dans cette crise). Elle est de 7 % en Corée du Sud, partout citée en exemple. Parfois, la dépense n’est pas le seul gage de la performance. Sinon, les Etats-Unis (17 %) seraient les champions du monde ! Et cela n’enlève rien au fait que nos soignants soient mal rémunérés.
La mondialisation, coupable trop facile
On entend aussi : « La crise montre que la mondialisation est une impasse, celle des hommes (le transport aérien a disséminé le virus à grande vitesse) et celle des marchandises (notre dépendance pour les masques, les réactifs des tests, les traitements) . » Vraiment ? Même si la mondialisation a tiré un milliard de personnes du dénuement, ses effets pervers ou ses excès ne sont un secret pour personne. Mais faut-il vraiment l’incriminer en l’occurrence ? Entre 1347 et 1352, la peste noire venue d’Asie a tué 40 % de la population européenne. En 1918-1919, ce sont 20 à 50 millions de personnes qui sont mortes de la grippe H1N1 dite « espagnole ». Qui songerait à incriminer la mondialisation ?
On entend enfin : « L’Europe est plus inexistante que jamais. » La santé est certes restée une compétence nationale (qui s’en plaignait ?). Mais que dire de la riposte économique ? Qui aurait imaginé que Bruxelles accorderait de telles largesses ? Qui aurait pensé que la BCE mettrait tout son poids ? Il y a bien sûr des désaccords sur les « coronabonds ». Mais qu’elle paraît loin, l’inertie de la crise de 2008 !
On pourrait invoquer aussi les solidarités en tout genre alors qu’on parle de société repliée. Le civisme insoupçonné des « Gaulois réfractaires » que révèle le respect du confinement. La souplesse de nos usines converties à la production de masques et de respirateurs artificiels.
Les crises sanitaires ou technologiques ont toujours existé et existeront toujours. Pointer nos errements ou nos failles est un impératif pour améliorer l’anticipation et la riposte. Raison de plus pour se garder des sentences un peu simplistes de court-terme.
David Pujadas