Adoption d’un amendement conséquent de lissage du dispositif
Joël Giraud a fait adopter en séance publique lundi 6 novembre, avec l’accord du Gouvernement, un amendement visant à lisser la surtaxe exceptionnelle sur les grandes sociétés. En effet, comme toute imposition dont l’assujettissement dépend du niveau de chiffre d’affaires, les deux contributions proposées auraient entraîné d’inévitables effets de seuil. Ainsi, l’amendement du Rapporteur général permet de limiter autant que possible ces effets de seuil en atténuant le taux de chacune des deux contributions pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 1 et 1,1 milliard d’euros pour la première contribution, et entre 3 et 3,1 milliards d’euros pour la seconde.
Avec un rendement de cette surtaxe évalué à 5,4 milliards d’euros, dont 4,8 versés en acompte avant fin décembre, le solde restant de 5 milliards étant supporté par l’Etat, le déficit budgétaire en 2018 est réévalué à 2,8% au lieu de 2,6%, permettant de maintenir l’engagement de réduction en deçà du seuil critique de la zone euro des 3 points de PIB.
Intervention de Joël Giraud en discussion générale :
La taxe sur les dividendes a été jugée incompatible avec la directive mère-fille par la cour de justice de l’union européenne le 17 mai 2017, elle ne pouvait donc plus s’appliquer aux redistributions de dividendes provenant à l’origine de filiales européennes. Cela a causé une discrimination à rebours vis-à-vis des autres dividendes, entraînant une rupture d’égalité censurée par le conseil constitutionnel le 6 octobre dernier.
L’incompatibilité européenne apparaît clairement aujourd’hui, mais elle n’était pas évidente en juillet 2012, lorsque la taxe a été créée. Si certains, comme Gilles Carrez ou Charles de courson, avaient émis des réserves sur le principe de cette taxe, personne dans cet hémicycle, y compris le gouvernement, n’avait soulevé le risque de contrariété avec le droit européen et n’avait vu le problème posé par la redistribution de dividendes en provenance d’une filiale européenne – Gilles carrez a eu l’élégance de le rappeler vendredi en commission.
Certains ont critiqué le rapporteur général de l’époque, Christian Eckert, au motif que c’était l’un de ses amendements qui aurait tout déclenché. Ce n’est pas vrai. La version initiale du gouvernement ne paraissait pas plus robuste, et l’amendement de Christian Eckert avait été très bien accueilli dans notre assemblée, accepté par le gouvernement et vu par le sénat comme étant plus équitable et plus efficace. Cette brève digression historique pour rappeler qu’en droit, les choses ne sont pas toujours certaines à l’avance.
Reprenons : l’ampleur de la censure du 6 octobre, son effet immédiat et le volume croissant des réclamations ont fait grimper le montant des sommes à rembourser, qui est passé des 5,7 milliards prévus par le projet de loi de programmation des finances publiques à 10 milliards d’euros. Par ailleurs, l’immédiateté de la censure suppose de rembourser des entreprises dès 2017.
Le gouvernement prévoit des remboursements de 5 milliards d’euros en 2017 et 5 milliards d’euros en 2018.
La solution consistant à étaler davantage les remboursements serait préjudiciable aux finances publiques à cause des intérêts moratoires. De ce fait, le retour du déficit public sous la barre des 3 % du PIB et le respect par la France de ses engagements européens sont menacés – engagements dont j’ai pu mesurer très concrètement l’importance auprès de nos partenaires européens lors de la conférence interparlementaire tenue la semaine dernière à Tallinn.
Le surcoût du contentieux entraîne donc un besoin budgétaire urgent pour 2017, de l’ordre de 5 milliards d’euros. Pour y faire face, le gouvernement propose la mise en place de deux contributions exceptionnelles à l’impôt sur les sociétés, qui ne seront dues que par les plus grandes entreprises, celles dont le chiffre d’affaires dépasse un milliard d’euros.
Ces contributions rapporteront environ 5,4 milliards d’euros dont 4,8 milliards dès 2017. Cela nous permet de maintenir un objectif de déficit public de 2,9 % du PIB pour 2017, de respecter nos engagements européens et de sortir de la procédure de déficit excessif.
Cela signifie aussi que l’état prendra à sa charge pour environ 4,6 milliards d’euros le coût du remboursement de la taxe à 3 %. L’objectif de déficit public pour 2018 sera ainsi revu à la hausse de 0,2 point de PIB, à 2,8 % au lieu de 2,6 %.
La solution du gouvernement, qui n’a pas dû être facile à prendre mais qui témoigne d’un sens aigu des responsabilités, est la plus efficace par rapport aux alternatives envisageables.
En premier lieu, elle est juridiquement bornée, les surtaxes d’IS étant bien connues. Le principe des nouvelles contributions proposées et leurs modalités de paiement – inspirées de celles de la surtaxe Fillon de 2011 – sont donc bien balisés.
En deuxième lieu, le versement anticipé de 95 % lors du paiement du dernier acompte d’IS permettra d’engranger l’essentiel des recettes fiscales dès 2017. Le projet du gouvernement prévoit d’accorder un délai de paiement supplémentaire de cinq jours, soit jusqu’au 20 décembre, pour les entreprises dont l’exercice sera clos le 31 décembre 2017. Notre commission vous proposera d’étendre ce délai supplémentaire à toutes les entreprises qui paieront leur dernier acompte d’IS le 15 décembre, c’est-à-dire à celles dont l’exercice sera clos au plus tard le 19 février 2018. Les entreprises placées dans la même situation seront ainsi traitées de la même manière.
En troisième lieu, afin de ne pas pénaliser les PME, les ETI les moins importantes ou les entreprises déficitaires, les nouvelles contributions ne porteront que :
– sur les entreprises bénéficiaires, puisqu’elles seront assises sur l’IS ;
– sur les plus grandes entreprises, au-delà d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires. Ce sont ces entreprises qui disposent de la solidité financière suffisante pour faire face à l’effort qui leur est demandé. 209 entreprises, dont le bénéfice moyen est de 73 millions d’euros, seront concernées par la première contribution. 109 entreprises, dont le bénéfice moyen est de 412 millions d’euros, seront concernées par les deux.
Si je comprends les raisons qui avaient conduit à envisager initialement un plafonnement fixe, je me réjouis de sa disparition : il aurait fait courir au texte un trop grand risque constitutionnel.
Deux taux sont proposés, pour lisser l’impact des contributions. Cependant, les effets de seuils seraient conséquents, comme l’ont notamment indiqué Gilles Carrez et Lise Magnier. À cet égard, on peut regretter la rapidité d’élaboration du dispositif qui, en l’état, conduirait à ce que deux entreprises dans une situation voisine soient touchées très différemment selon qu’elles dépassent ou non les seuils. Aussi, pour corriger cela, un amendement lissant l’entrée dans le dispositif vous sera proposé.
Les débats sur les entreprises « gagnantes » et « perdantes » ont été nourris et ne sont pas illégitimes compte tenu des sommes en jeu. Il n’est nullement question de voter un texte les yeux bandés, sans se soucier des conséquences sur les acteurs concernés. Je tiens à souligner que, globalement, les entreprises sont gagnantes car l’état prend à sa charge environ la moitié du coût du remboursement (remboursement qui est concentré sur le dernier décile des entreprises). En tout état de cause, la question ne se pose pas vraiment en ces termes de « gagnants-perdants » : des remboursements sont dus, cela creuse le déficit, il faut donc trouver un moyen de répondre au besoin budgétaire. A cet égard, je rappelle que la « surtaxe Fillon » frappait les entreprises sans qu’un remboursement quelconque soit dû, et que la taxe sur les dividendes ne touchait pas les OPCVM, alors que c’est précisément le remboursement des OPCVM qui avait conduit à la créer.
Dernier avantage de la solution du gouvernement, les contributions seront ponctuelles.
Ces contributions ne font plaisir à personne, mais elles sont nécessaires. Elles sont meilleures que les autres solutions dans la mesure où elles permettent de respecter la trajectoire du solde public dès 2017, ce qui n’aurait pas été le cas avec une conversion du remboursement en émission d’obligations ou avec des contributions aux taux réduits mais portant sur deux exercices.
Enfin, ces contributions ne remettent nullement en cause le programme du gouvernement, soutenu par la majorité, de réduire la fiscalité et les cotisations des entreprises. La baisse du taux d’IS à 25 %, la transformation du CICE en allégements de cotisations avec année double en 2019 ou encore la suppression du taux supérieur de taxe sur les salaires – qui bénéficiera surtout aux établissements bancaires, y compris mutualistes –, seront pérennes.
Au risque d’être un peu long, et juste avant de conclure, mes chers collègues, je souhaiterais profiter de cette intervention pour faire un petit point de méthode.
Notre capacité d’évaluation doit faire l’objet de réflexions, c’est indéniable, mais nous devons aussi réfléchir à la manière dont nous faisons ce pour quoi nous sommes élus, ce pourquoi le parlement existe : le pouvoir de faire la loi. C’est un grand pouvoir, impliquant un non moins grand devoir de bien faire. L’épisode qui nous réunit aujourd’hui doit nous amener à réfléchir à la manière dont nous élaborons la loi, notamment la loi fiscale.
À cet égard, le temps est un facteur décisif. Je rappelle que, sur la première partie du PLF, il y a eu 20 jours entre le dépôt du texte et son examen en séance, 20 jours dans lesquels se sont tenues 20 heures d’examen en commission, l’étude de plusieurs centaines d’amendements – dont la rédaction n’est parfois pas issue de pures initiatives parlementaires –, tout cela sur des matières qui ne sont pas les moins techniques et dont les effets de bord peuvent être importants.
Depuis plusieurs jours, nous débattons des missions budgétaires ; jeudi, nous examinerons en commission les articles non rattachés de la seconde partie, avec ce collectif exceptionnel qui s’intercale, pour ensuite en débattre en séance la semaine d’après. Cette semaine-là, devrait être présenté le collectif traditionnel de fin d’année, avec là encore probablement une vingtaine de jours à peine entre son dépôt et sa discussion en séance et des heures de commission et des centaines d’amendements entre les deux : bref, là encore, l’urgence. Or, les PLFR comportent souvent, au-delà des nécessaires ajustements des prévisions budgétaires, des dispositions encore plus techniques que celles du PLF, et donc potentiellement plus d’embûches. Pourquoi, plutôt que d’imposer une « voiture-balai » passant à toute allure, ne pas intégrer ces mesures techniques dans une loi fiscale examinée sereinement au printemps ?
Pour illustrer mon propos, je note que de très nombreuses questions que j’ai posées aux services, dès juillet pour certaines, n’ont toujours pas fait l’objet de réponse – ce qui est tout de même gênant quand la première partie a déjà été votée et que la seconde est en cours d’examen. Je suis tout à fait conscient de l’énorme charge qui pèse sur les services, mais cela montre précisément l’excessive concentration automnale : pas de temps pour les services, pas de temps pour le parlement, pas de temps pour les échanges d’information…
Autre illustration, les changements trop fréquents de la loi fiscale et l’importance des censures, via des QPC, de dispositifs fiscaux souvent issus d’amendements présentés à la dernière minute, sans saisine du conseil d’état et sans délai permettant au parlement d’en évaluer les effets. Un regard jeté de l’autre côté du Rhin, dans un pays que je connais bien, montre la parcimonie et le soin avec lesquels la loi fiscale est modifiée : pourquoi n’y parviendrions-nous pas ?
Tout cela pour dire que si l’évaluation, c’est très bien et même nécessaire, mieux légiférer permettrait de la rendre moins impérative et plus qualitative. Donner plus de temps au parlement, ce n’est pas, contrairement à ce que peuvent penser certains bureaux, du temps perdu : c’est du temps nécessaire, du temps d’appropriation démocratique, du temps pour débattre, pour échanger, du temps qui accroît la légitimité des mesures, sans laquelle il n’y a point d’efficacité. C’est la leçon de 1776, résultant d’une taxation sans représentation ; c’est la leçon de 1789, qui a mis l’intervention du législateur fiscal au centre de sa déclaration des droits.
Prenons le problème par le « bon bout », si je puis m’exprimer ainsi : mieux vaut prévenir que guérir. Légiférons moins, légiférons mieux, évaluons plus.
Les ministres, je le sais, sont en première ligne pour ce combat. À cet égard, je me réjouis que nous ayons des ministres réformateurs : chacun a pu lire la tribune de Gérald Darmanin sur la lisibilité des débats budgétaires, et chacun connaît les engagements pris à plusieurs reprises par Bruno Le Maire dans cet hémicycle. Chacun, enfin, connaît l’impulsion donnée par le président de notre assemblée sur ces sujets.
Pour conclure, mes chers collègues, en vous priant de me pardonner pour ces propos sans doute trop longs, mais qui me paraissaient nécessaires, je vous invite à adopter le projet de loi qui nous est soumis, afin d’assurer le respect des engagements européens de notre pays, de régler cette question et de pouvoir, enfin, reprendre notre marche vers l’avenir.
Revue de presse
Le Figaro : « Feu vert de l’Assemblée à la surtaxe exceptionnelle sur les grandes sociétés »
L’Express : « L’assemblée vote dans l’urgence la surtaxe sur les grandes sociétés »
Le Dauphiné : « Surtaxe des grandes entreprises : le feu vert de l’Assemblée
http://www.ledauphine.com/economie-et-finance/2017/11/06/surtaxe-feu-vert-de-l-assemblee
Les Échos : « Surtaxe sur les grands groupes : ceux qui rient et ceux qui pleurent »
L’Express : « L’Assemblée débat dans l’urgence de la surtaxe exceptionnelle sur les grandes sociétés »
BFM Business : « Taxe sur les dividendes : Le Maire veut solder les reliquats du passé »