Débat sur la réserve parlementaire en commission

Lors de l’examen pour avis le 18 juillet par la commission des finances de quatre articles du projet de loi organique et du projet de loi pour la régulation de la vie publique, les commissaires aux finances ont débattu de la réserve parlementaire :

M. le rapporteur général. […] J’en viens à la question de la « réserve parlementaire ». C’est mon deuxième point. Après avoir travaillé avec la présidente de la commission des lois, rapporteure au fond, j’ai, pour ma part, déposé quelques amendements visant à créer une dotation spécifique, que je qualifierais de solidarité locale. Elle se serait substituée à la procédure actuelle, pour répondre aux critiques sur le manque de transparence et aux soupçons de clientélisme. Entre-temps, le Gouvernement nous a fait savoir qu’il imaginait la création de ce genre de dispositif dans le cadre de la loi de finances. L’important est que nous ayons un dispositif transparent et efficace, qui prenne en compte la solidarité locale vis-à-vis des collectivités de petite taille ou à faibles revenus, mais aussi à l’égard des associations. Je vais donc retirer mes amendements, de façon que nous reprenions ce débat dans le cadre du projet de loi de finances.

Concernant l’article 13, il s’agit d’une disposition transitoire qui n’appelle pas de commentaires particuliers.

[…]

Mme Véronique Louwagie. Je voudrais intervenir sur les articles relatifs à la réserve parlementaire, c’est-à-dire les articles 9 et 13 du projet de loi organique.

Je suis tout d’abord profondément choquée qu’une disposition de cette nature soit intégrée dans un projet de loi présenté comme un texte de moralisation de la vie publique, ce qui revient à jeter l’opprobre sur les députés et les sénateurs. Et c’est le Président de la République et le Gouvernement qui, en introduisant une telle disposition, créent une suspicion forte sous couvert de moraliser la vie publique !

Pour ce qui est de la réserve parlementaire, plusieurs solutions s’offrent à nous : nous pouvons décider de la maintenir en l’état, de la supprimer ou de la modifier. Quoi qu’il en soit, on ne peut plus parler de clientélisme en la matière car ces sommes sont attribuées en totale transparence. Chaque année, la manière dont les réserves parlementaires ont été utilisées sur les territoires donne lieu à une communication. La transparence, au demeurant souhaitable, est désormais parfaite et l’argument du clientélisme n’a plus lieu d’être.

La réserve parlementaire présente de nombreux atouts : c’est un soutien aux territoires, à la ruralité, aux collectivités et aux associations. En définitive, il s’agit d’une aide aux habitants des territoires. Elle est souvent attribuée à de petites communes où les sommes accordées – qui pourraient sembler modestes dans des collectivités plus grandes – jouent un rôle très important pour financer de nombreux projets : écoles, crèches, etc. Qui est en mesure de connaître ces territoires et d’estimer leurs besoins mieux que les parlementaires que nous sommes ? Aucun dispositif proposé qui ne reposerait pas sur une connaissance aussi fine des territoires n’apporterait le même soutien.

À mon avis, la solution consiste à maintenir la réserve parlementaire en l’état.

Mme Marie-Christine Dalloz. Lors d’une réunion de la commission des lois qui se tenait cet après-midi sur le projet de loi qui nous occupe, sa présidente a indiqué aux parlementaires présents qu’ils devaient se considérer comme des représentants de la Nation et non pas comme des représentants de leur territoire. Elle estime qu’il faut couper le lien entre le parlementaire et son territoire. Mes chers collègues, je vous invite à réfléchir à cette conception…

On parle de clientélisme. À ceux qui n’ont pas encore utilisé une réserve parlementaire, je signale que le dossier doit être envoyé au ministère concerné – Premier ministre, ministère de la culture, des sports ou autre – pour qu’il y soit instruit. Une fois que le ministère a notifié son accord, la somme est versée par le préfet du département. Pour finir, toutes les sommes attribuées dans le cadre des réserves sont recensées sur le site de l’Assemblée nationale. On ne saurait parler de malversations ou d’orientations perverses des réserves parlementaires. En réalité, ces sommes permettent d’avoir un effet de levier.

En 2014, j’ai donné la réserve parlementaire à une commune dont le maire était mon adversaire aux élections législatives de 2012. Que l’on ne vienne pas me faire des leçons sur le clientélisme ! Pour ma part, j’avais ciblé le patrimoine des petites communes. Grâce à leur effet de levier, ces sommes sont souvent le déclencheur de la réalisation de certains travaux. C’est cela qu’il faut que vous entendiez. Cessez d’être dogmatiques concernant cette réserve. Construisons ensemble, en aidant les communes rurales de nos territoires grâce à un outil simple comme celui qui existe actuellement.

Tel est mon plaidoyer pour le maintien d’une réserve lisible, efficace, rattachée à un territoire et à des projets structurants.

M. le président Éric Woerth. Je suis d’ailleurs assez surpris de voir que les réserves ministérielles et la réserve présidentielle ne soient pas soumises aux mêmes règles de transparence…

M. Charles de Courson. Je vais dire un mot sur l’article 1er ter, évoqué par notre rapporteur général. Nous sommes quelques-uns à avoir tenté de faire sauter le verrou de Bercy. Je sais bien que notre président, ancien ministre du budget, a combattu nos amendements en la matière.

Une fois rappelée cette petite histoire, il faut dire que le verrou de Bercy est une honte du point de vue démocratique. C’est une exception, une survivance d’Ancien Régime. Seul le ministère des finances peut entamer une procédure, suite à une infraction pénale, afin de faire sanctionner un fraudeur. C’est incroyable ! C’est comme si l’on disait que seul le garde des Sceaux ou le ministre de l’intérieur peut saisir la justice si vous assassinez quelqu’un. Vous vous rendez compte ! On vous dira que le système permet au ministre des finances de négocier, de parvenir à un accord, etc. Mais nous sommes tout de même dans une démocratie et non pas dans un système autoritaire. L’article 1er ter est modeste. J’ai cru comprendre que notre rapporteur y était favorable… Je pense qu’il faut lui donner un avis favorable.

Venons-en à la réserve parlementaire. À nos jeunes collègues, je signale que si l’on se faisait réélire grâce à l’utilisation de la réserve parlementaire, cela se saurait ! Vous ne seriez pas là, mes chers collègues ! Il faut arrêter de raconter des histoires ! On peut discuter de réserve parlementaire au Sénat, mais certainement pas à l’Assemblée nationale. Tout est totalement transparent. Il vaut mieux peaufiner le système de substitution proposé par le Sénat que de supprimer purement et simplement la réserve parlementaire. C’est d’ailleurs ce que notre rapporteur propose, grâce à son amendement CF4, pour s’assurer que les associations en profitent davantage puisqu’elles ne se voient attribuer que 20 % des sommes en moyenne.

Mme Valérie Rabault. Non, c’est pratiquement moitié-moitié.

M. Charles de Courson. Non ! Pour avoir géré celle de mon groupe pendant des années, je peux vous dire que cela dépend beaucoup des parlementaires. Pour vous faire rire, je peux vous raconter qu’un collègue lyonnais n’aidait que des associations car il estimait qu’il était inutile d’aider la ville de Lyon. À l’inverse, Joël Giraud est député d’une zone rurale ; alors il est probable qu’il aide ses petites communes de montagne. Il faut trouver une solution et non supprimer purement et simplement la réserve.

M. Marc Le Fur. J’ai été surpris de cet assaut de démagogie à propos de la réserve. Le système a peut-être été un peu opaque à une époque, ce qui a conduit à des excès. À un moment – mais c’est déjà très vieux – les membres de la commission des finances bénéficiaient de quelques avantages relatifs en la matière. Tout cela est terminé depuis longtemps. On peut le regretter mais c’est ainsi. Des quotas sont attribués à l’ensemble des députés. Il faut maintenir ce système qui est transparent.

Au nom de quoi le dix-septième vice-président du conseil général ou le jeune sous-préfet qui débarque dans son arrondissement serait-il plus légitime que nous pour attribuer l’équivalent de la réserve ? Nous connaissons notre territoire, tout en étant députés de la Nation. J’ai entendu un président parler d’attitude girondine : c’est être soucieux de son territoire, de ce qui s’y passe, et essayer de promouvoir certaines initiatives. Il faut garder cette réserve pour les petites collectivités et pour les associations. Le mouvement associatif ne comprendrait pas qu’on ne garde la réserve que pour les collectivités – comme pour compenser un peu la perte des 13 milliards d’euros qu’on leur enlève !

Je vous invite à sortir des schémas, des racontars, des ragots qui renvoient peut-être à des périodes anciennes, et à maintenir ce qui est un des moyens pour un député d’être présent dans sa circonscription, mais également d’exister par rapport à d’autres élus locaux qui ont d’autres ressources et perspectives. Supprimer un tel outil ferait disparaître totalement la représentation parlementaire au niveau local.

Mme Valérie Rabault. Rappelons que ces réserves ne sont pas l’argent des députés, mais des crédits fléchés des ministères vers les associations et les communes que nous souhaitons accompagner. Si le système de réserve parlementaire était supprimé, on pourrait craindre que cette enveloppe de 75 millions d’euros ne disparaisse par la même occasion alors qu’elle profite aux communes et aux associations : les 577 députés versent environ 40 millions d’euros aux premières et 35 millions d’euros aux secondes, selon les derniers chiffres que j’ai obtenus lorsque j’étais rapporteure générale – rappelons que le rapporteur général est en quelque sorte l’intendant de cette réserve parlementaire. Une fois que la somme sera versée au budget général, les associations et les petites communes n’en verront plus la couleur.

Cet argent sera-t-il considéré comme une partie des économies que souhaite faire le Gouvernement ou sera-t-il utilisé, par le biais d’autres canaux, pour accompagner des associations ? Si le rapporteur maintient sa proposition, je déposerai un amendement en séance pour la consolider. Dans le système actuel, lorsqu’une association fait une demande, le rapporteur général signe une notification. L’association remplit un formulaire CERFA de huit pages qui est étudié par le ministère concerné. Ces deux filtres peuvent se traduire par des refus, et cela s’est d’ores et déjà produit : il m’est arrivé de refuser de signer des notifications. Quant aux communes, elles doivent présenter un gros dossier à l’appui de leur demande.

Ce qui me chagrine beaucoup, c’est la réserve ministérielle dont je n’ai découvert l’existence que très tardivement. Cela fait partie des choses que l’on découvre au fil de l’eau… Ses détenteurs sont les champions de l’opacité : aucune publication ; on peut avantager les amis de ministres, etc. Je ne peux même pas vous donner son montant global ! Une fois qu’on en a connaissance, on finit par solliciter le ministre. Rappelons qu’elle est imputée sur les mêmes lignes budgétaires que la réserve parlementaire. Les deux doivent faire l’objet d’un même traitement.

M. Patrick Hetzel et M. François Cornut-Gentille. Exactement !

Mme Valérie Rabault. Pour ce qui est du verrou de Bercy, j’adhère à l’analyse et à la proposition du rapporteur.

M. le président Éric Woerth. Je partage votre opinion sur la réserve ministérielle. Il existe aussi, me semble-t-il, une réserve présidentielle : le Président de la République pourrait affecter un certain nombre de crédits. J’aimerais savoir si cela est exact. Quoi qu’il en soit, c’est un vrai sujet, car les mêmes règles doivent s’appliquer aux ministres et, le cas échéant, au Président.

Mme Cendra Motin. Tout d’abord, je tiens à préciser qu’il s’agit d’une loi de retour à la confiance et non d’une loi de moralisation. Dans ce texte, le poids des mots est vraiment important. Nous ne sommes pas là pour faire de la moralisation ni pour jeter l’opprobre sur les parlementaires ; il s’agit de changer les pratiques.

Je signale aussi que transparence ne vaut pas bonne utilisation. J’en veux pour preuve l’analyse que j’ai pu faire grâce à la transparence de l’utilisation de la réserve parlementaire de mon prédécesseur : il en réservait plus de 30 % à la commune dont il était maire !

M. Marc Le Fur. Et il n’a pas été réélu…

Mme Cendra Motin. Nous avons beau être de jeunes députés, nous connaissons nos territoires, nous les avons sillonnés, nous nous y intéressons. Il est possible d’aider nos territoires autrement qu’en saupoudrant un peu d’argent public, à un moment où on va leur demander de faire 13 milliards d’euros d’économies. Personnellement, je ne me vois pas leur reprendre d’une main ce que je leur ai donné de l’autre en jouant au Père Noël. Je ne trouve pas cela tout à fait logique.

Je comprends que les sénateurs, qui sont plutôt des élus des territoires, veuillent sauvegarder cette partie de leur action. Je comprends leur envie, leur démarche intellectuelle, ce qui ne signifie pas que je souscris à leur demande car je suis également favorable à la suppression de leur réserve. Je comprends beaucoup moins la position des députés. Certes, nous sommes élus d’un territoire, mais nous sommes la représentation nationale. C’est dans l’intérêt national que nous devons réfléchir.

Pour les territoires, il existe la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR). Ces fonds sont gérés par des représentants de l’État, les préfets, qui savent aussi aider des communes, des communautés de communes, qui nous font des rapports sur le sujet et qui nous intègrent dans leur réflexion. À nous d’y prendre toute notre place, voire de proposer d’y prendre davantage de place.

Pour ce qui est des associations enfin, en tant qu’élue du groupe La République en Marche, j’ai bien en tête la promesse de notre président, Emmanuel Macron : conduire une vraie politique à destination des associations, les accompagner afin qu’elles grandissent. Une partie de notre politique est fondée sur cet accompagnement des associations et nous aurons à y réfléchir bientôt, à y consacrer les budgets nécessaires. Ce sera notre rôle en tant que membres de la commission des finances.

M. Patrick Hetzel. Il convient d’insister sur le fait que, si les financements obtenus au titre de la réserve parlementaire par une ville comme Lyon – pour reprendre l’exemple cité par Charles de Courson – n’ont guère de sens, tel n’est pas le cas pour les communes et les associations rurales. Si l’on supprime la réserve parlementaire, ces territoires apparaîtront plus encore comme des territoires oubliés. Ce sujet-là, on ne peut pas l’occulter. La réserve génère un véritable effet de levier. Négliger cette dimension, c’est faire fausse route par rapport à la nécessaire continuité territoriale, qui ne peut être laissée à la seule appréciation des préfets
– et c’est un ancien directeur d’administration centrale et un ancien recteur qui vous le dit. L’État doit pouvoir aussi dialoguer avec les députés qui, s’ils sont des élus de la Nation, ne sont pas pour autant en situation d’extraterritorialité. Ou alors, les circonscriptions législatives n’ont plus aucun sens et il faut élire tous les députés au scrutin proportionnel ! Quant à moi, je revendique clairement mon enracinement ; si les députés n’ont plus d’enracinement, il se posera un vrai problème de légitimité de la représentation nationale.

Mme Marie-Christine Dalloz. Bravo !

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas. Je partage les propos de Cendra Motin. Je suis convaincue qu’aujourd’hui, nous pouvons faire différemment. Nous, les nouveaux élus, n’avons pas connu la réserve parlementaire. Nous allons certainement la supprimer, tant mieux ! Au-delà des discours que l’on entend ici, c’est un engagement que nous avons pris durant la campagne électorale, car c’est que ce que veulent nos concitoyens. La question n’est pas de voter un amendement de peur que cet argent ne revienne pas aux territoires ; on est pour ou on est contre, c’est tout !

M. Jean-Paul Mattei. Je suis, certes, un jeune député, mais maire depuis seize ans, et je me suis toujours refusé à demander à bénéficier de la réserve parlementaire, qui a pour moi un caractère un peu féodal. J’y suis donc totalement opposé et je me réjouis qu’on la supprime. Il existe d’autres moyens de venir en aide aux petites communes. J’ai siégé à la commission d’élus de la DETR pendant des années : si l’on simplifie les démarches, on parviendra au même but. Quant aux associations, on peut très bien créer un fonds à leur profit.

Quand bien même la réserve parlementaire serait transparente, son image dans le public est absolument désastreuse. Je vous assure que nous devons changer notre façon d’envisager nos rapports avec la population ; le lien avec le territoire ne sera pas coupé pour autant. On peut mener d’autres actions que celle qui consiste à saupoudrer ainsi de l’argent public – car je rappelle qu’il ne s’agit pas du nôtre.

M. François Pupponi. Je peux comprendre que certains, qui l’avaient annoncé durant la campagne, souhaitent supprimer la réserve parlementaire. Je leur souhaite bon courage, car ce dispositif permettait à un député, lorsqu’il était sollicité, d’aider une commune à financer la création d’une école ou d’un gymnase ou le développement d’une association. Il ne pourra plus le faire… C’est un choix.

Ce qui me gêne, c’est que ni notre rapporteur général dans son amendement, ni le Président de la République à Versailles, ni le Premier ministre dans son discours de politique générale n’ont dit un mot sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). L’amendement de notre rapporteur général ne fait référence qu’aux petites communes. Je déposerai donc un amendement visant à y associer les villes qui ont un QPV, pour lesquelles quelques dizaines de milliers d’euros peuvent être importants. Pour des raisons qui m’échappent, on ne parle plus que de ruralité : les banlieues et les QPV ont disparu. J’espère, monsieur le rapporteur général, que mon amendement sera soutenu par le groupe La République en Marche. Cela me permettra de savoir quelle est leur vision de ces quartiers.

M. Éric Coquerel. Comme l’a dit l’une de nos collègues du groupe Les Républicains, ne taper, sous couvert de moralisation, que sur les parlementaires ou sur les politiques, c’est regarder le problème par le petit bout de la lorgnette. S’il y a des corrompus, c’est qu’il y a des corrupteurs. Je suis choqué que l’on ne s’intéresse ni aux conseils d’administration ni à la finance. On ne traite qu’une des facettes du problème.

De même, on ne s’intéresse qu’à une partie de la vie politique. Il est tout de même paradoxal que le jour où l’on s’apprête à interdire à un parlementaire d’employer des membres de sa famille en tant que collaborateurs – et j’y suis favorable, compte tenu des excès que l’on connaît –, le Président de la République annonce que la première dame, qui n’a pas été élue, disposera d’un budget… Il y a deux poids, deux mesures !

Par ailleurs, je suis satisfait de constater que des députés d’horizons politiques différents jugent nécessaire de faire sauter le verrou de Bercy. Celui-ci pose un problème non seulement du point de vue du fonctionnement de la République – il n’est pas normal qu’une juridiction spéciale de ce type perdure –, mais aussi en termes d’efficacité. S’agissant de la fraude fiscale, dont le montant est estimé à des dizaines de milliards d’euros, il est évident que la commission des infractions fiscales a ralenti certains dossiers – il suffit de voir l’affaire Cahuzac. Nous souhaitons donc faire sauter ce verrou et, si nous n’y parvenons pas, nous proposerons un amendement de repli visant à le supprimer pour les cas les plus graves. Il ne peut y avoir de loi de moralisation sans que l’on s’occupe de ce dossier.

Quant à la réserve parlementaire, je m’étonne tout d’abord qu’elle soit la seule concernée et que l’on ne touche ni à la réserve présidentielle ni à la réserve ministérielle. Là encore, il y a deux poids, deux mesures. Cela dit, on ne peut pas, comme l’ont fait les différentes majorités qui se sont succédé, mener des politiques qui affaiblissent les services publics, donc l’égalité territoriale, et diminuer les budgets des collectivités territoriales – nous verrons ce qu’il en sera l’an prochain – tout en expliquant qu’il est nécessaire de maintenir la réserve parlementaire pour saupoudrer les financements que l’on a supprimés par ailleurs ! Si, dans ces circonstances, on la maintient, on se retrouvera, comme je l’ai entendu dire tout à l’heure, en concurrence avec le maire ou d’autres élus. Mais de quelle concurrence s’agit-il ? Vous ne voudrez peut-être pas appeler cela une politique clientéliste, mais il s’agit tout de même de donner tel ou tel avantage à telle ou telle association. Et quand les budgets baissent, il est évident que la « politique de préférence » – pour ne pas parler de clientélisme – prend d’autant plus de poids. Ou alors il faudrait envisager, comme nous en avons pris l’engagement durant la campagne, de réunir un jury citoyen qui décide, avec le député, de la destination de telle ou telle aide. Cela permettrait également d’éviter les risques inhérents à cette pratique.

M. Saïd Ahamada. J’entends les arguments de l’opposition en faveur du maintien de cette enveloppe. Je souhaite cependant apporter une précision : ce qui est en cause, ici, ce n’est pas la procédure elle-même, dont nous reconnaissons qu’elle était transparente, même s’il est possible d’aller plus loin dans ce domaine, mais le caractère arbitraire du choix de telle association ou de telle commune. Que l’on appelle cela clientélisme ou préférence, peu importe, c’est bien cette pratique qui pose problème. Qu’un parlementaire se transforme en petit exécutif local pour choisir la structure à subventionner me pose problème sur un plan éthique.

Par ailleurs, la question de fond, qui n’a pas encore été abordée, me semble être celle de savoir pourquoi un député est ainsi conduit à pallier l’absence de financement d’une structure locale par les collectivités, dont c’est le rôle. Pourquoi le conseil départemental, le conseil régional ou la communauté de communes ne financent-ils plus ces associations ou ces communes ? C’est là-dessus que nous devons travailler.

Enfin, je rappelle que j’ai fait, moi aussi, campagne sur ce thème. Pourtant, en tant qu’élu des quartiers nord de Marseille – et je rejoins François Pupponi sur ce point –, je connais les structures qui en ont besoin. Mais il me semble que ce n’est pas mon rôle. C’est pourquoi je souhaite que l’on supprime la réserve parlementaire.

M. Jean-Louis Bourlanges. En ce qui concerne le verrou de Bercy, je suis d’accord avec Charles de Courson : il s’agit d’une anomalie incroyable. On ne peut pas maintenir la situation actuelle dans laquelle une administration détient le monopole de la poursuite pénale. C’est une procédure intrinsèquement perverse qui doit être remise en cause, sous des formes et selon des modalités qu’il faut étudier.

J’en viens à la question de la réserve parlementaire. Quoiqu’âgé, je suis un néophyte. Je suis un vieil ingénu, en quelque sorte, et j’ai du mal à aborder les problèmes autrement que sur le plan des principes. Or il me paraît très difficile, à cet égard, de justifier le maintien de la réserve parlementaire. Les arguments qui ont été donnés en faveur de ce maintien sont de deux ordres. Certains, comme Marie-Christine Dalloz, et je les comprends, ne veulent pas être considérés comme des bandits de grand chemin : ce n’est pas parce qu’ils distribuent la réserve parlementaire qu’ils doivent être aussitôt accusés de corporatisme, de manipulation ou d’instrumentalisation. Elle a tout à fait raison, mais la question qui se pose n’est pas celle de la transparence de la réserve parlementaire ; c’est celle de savoir si cette procédure budgétaire est adaptée à son objet. D’autres, comme François Pupponi et Patrick Hetzel, défendent la réserve parlementaire, le premier au nom de la ruralité, le second au nom de la politique de la ville. Les problèmes d’arbitrage sont évidemment centraux en la matière, mais ils n’ont rien à voir avec la question procédurale précise de savoir si les parlementaires doivent avoir le pouvoir, qualifié de féodal par notre collègue Mattei, de distribuer des enveloppes, fût-ce dans des conditions tout à fait honorables.

Je crois aux grands principes d’unité, d’unicité et d’universalité du budget ; et de ce point de vue, cette fragmentation du pouvoir budgétaire me paraît choquante. En outre, les parlementaires n’ont pas à s’immiscer dans une quasi-fonction d’ordonnateur. Je comprends qu’il soit très agréable de distribuer cette réserve parlementaire, dont on fait certainement très bon usage car nos collègues sont évidemment dévoués à l’intérêt général – même si, ne soyons pas naïfs, l’intérêt politique est également présent. Mais le problème mérite d’être posé en termes de principes et non en termes d’opportunité.

Mme Christine Pires Beaune. Il est normal que la majorité veuille respecter un engagement de campagne, mais les raisons de cette suppression doivent être clairement énoncées. S’il s’agit de réaliser une économie budgétaire de 75 millions d’euros, je voterai contre. S’il s’agit de mettre un terme à une pratique jugée archaïque et d’affecter ces 75 millions à un fonds destiné aux collectivités locales et aux associations, je peux être pour. J’appelle toutefois votre attention sur le fait que certains parlementaires sont totalement exclus de la gestion de la DETR. J’invite d’ailleurs chacun d’entre vous à interroger le préfet de son département sur la gestion de cette dotation et sur celle du fonds, nouvellement créé, de soutien à l’investissement local. Ayant moi-même entrepris cette démarche, j’ai appris que 40 % des arrêtés n’étaient toujours pas signés alors que nous sommes au mois de juillet ! Il est très facile de ponctionner de l’argent aux collectivités lorsqu’elles ne peuvent pas consommer les crédits… Nous devons donc trouver un moyen d’avoir la main et de savoir comment ces fonds sont alloués. Enfin, il serait bon d’étudier la manière dont la dotation d’équipement des territoires ruraux, puisque tel est son nom, est distribuée dans les territoires.

M. le président Éric Woerth. Vous avez raison.

Mme Christine Pires Beaune. Par ailleurs, si l’on supprime la réserve parlementaire, il faut évidemment supprimer également la réserve ministérielle.

M. Charles de Courson. Les trois réserves !

Mme Christine Pires Beaune. Attention cependant aux caricatures : pas un centime de réserve parlementaire n’est allé à la commune dont je suis conseillère municipale depuis cinq ans.

M. François Cornut-Gentille. Il ne s’agit pas ici de morale ou même de confiance. Ce n’est pas parce que de fausses idées circulent dans la presse sur cette réserve qu’il faut s’engager à la réformer à toute vitesse. La question de fond est celle de savoir si ces présupposés sont justes ou pas.

Si l’on prend un peu de recul, on s’aperçoit que ce qui est ici en cause, c’est une mission du parlementaire qui était auparavant admise par tous et définie nulle part. Jusqu’à présent, les parlementaires assuraient une mission de synthèse entre le débat national et les territoires, mission qui passait par le cumul des mandats et de petits dispositifs tels que la réserve parlementaire. Pour des raisons qu’il faudrait analyser, ce qui apparaissait autrefois comme une synthèse, une expérience de l’universel au plan local, apparaît aujourd’hui comme un conflit d’intérêts, une contradiction : si le parlementaire est ancré dans son territoire, il va privilégier sa ville ou l’association dont il est proche…

Je n’ai aucune opinion sur le point de savoir s’il faut maintenir ou supprimer la réserve parlementaire. Je tiens simplement à vous mettre en garde contre la disparition de cette synthèse – et, de ce point de vue, la suppression ou le maintien de la réserve parlementaire n’y changera rien. Je prends le pari que, dans quelques années, les premiers opposants ne siégeront pas ici : ce seront les présidents de région et les présidents d’agglomération. La synthèse qui se faisait au Parlement n’existera plus, et nous assisterons à des conflits entre les territoires et l’État. Voilà le véritable sujet !

M. Éric Alauzet. J’ai pris beaucoup de plaisir à gérer la réserve parlementaire. Il est en effet extrêmement gratifiant de pouvoir sauver temporairement une association, par exemple, parfois grâce à de tout petits montants. C’est très agréable, mais cela prend aussi beaucoup de temps. Ce système, c’est vrai, peut être très utile aux petites communes ou aux associations et il permet de tisser des liens très forts avec ces structures et les élus. Le seul problème, c’est que cette pratique n’est plus de notre temps. Qu’on le veuille ou non, les parlementaires sont actuellement dans l’œil du cyclone, et on ne leur passera rien. Il n’est pas normal qu’une personne, si vertueuse soit-elle, décide seule d’attribuer ou pas une subvention, sans avoir à se soumettre à des règles comme celles qui sont imposées aux collectivités ou aux préfets. J’ai tout fait pour remédier à cette situation, jusqu’à mettre en place un jury composé d’élus locaux, etc. Il n’empêche que cela demeure une anomalie au XXIsiècle. Il faut donc trouver une solution pour que cette aide aux territoires demeure, mais sous une forme démocratique. Or, celle-là ne l’est pas du tout.

M. le rapporteur général. Supprimer le verrou de Bercy au détour d’un texte n’est peut-être pas la bonne solution. Je ne dis pas que la disposition votée au Sénat est bonne ou mauvaise mais, ayant entendu ce qu’a dit le procureur de la République financier sur l’amélioration considérable des procédures, j’estime qu’il faudrait consacrer un rapport d’information à ce sujet afin de trancher une fois pour toutes – et je le dis sans préjuger de la façon dont nous trancherons. C’est un sujet de préoccupation, et nous sommes nombreux ici, quel que soit le groupe auquel nous appartenons, à nous poser des questions sur l’aspect moral de certaines pratiques dont fait partie cette survivance étonnante qu’est le « loquet » de Bercy. Le risque sur le montant des sommes recouvrées a toujours été présenté central. Il faut que nous sachions quelle est la réalité de tout cela et la manière dont la pratique a évolué. J’insiste, je crois qu’un rapport d’information nous permettrait d’y voir clair et de trancher définitivement.

Pour le reste, l’engagement a été pris de créer une dotation de solidarité locale au profit des collectivités et des associations. Je ne sais pas encore la forme qu’elle prendra, mais ceux qui me connaissent savent que, si cet engagement n’était pas tenu, j’agirai pour faire en sorte qu’il le soit… Peut-être est-ce l’occasion pour que les excellentes conclusions du rapport de Christine Pires Beaune et Véronique Louwagie sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) et les dotations aux collectivités soient prises en compte dans cette réflexion pour aboutir à un dispositif équitable et intelligent. Je connais en effet des collectivités dont les élus vont jusqu’à renoncer à leurs indemnités pour pouvoir boucler leur budget. Peut-être est-ce dû à la taille des communes françaises – à cet égard, le Président de la République a évoqué la question des communes nouvelles. En tout état de cause, soyez sûrs que je ne lâcherai rien sur la mise en place de cette dotation dans le projet de loi de finances.

Par ailleurs, comme vous tous, je ne vois pas pourquoi la réserve ministérielle échapperait au sort réservé à la réserve parlementaire.

Enfin, en ce qui concerne le rôle des parlementaires dans certaines commissions, notamment celle de la DETR, sachez qu’à l’article 15 du projet de loi ordinaire, le Sénat a introduit une disposition imposant leur présence au sein de cette commission. Il est en effet important que les parlementaires soient associés au système de gouvernance ; cette disposition me semble répondre à la question légitime soulevée par Christine Pires Beaune.